Philippe Caubère : « André Benedetto est l'un des plus grands artistes de théâtre français ! »

Théâtre / Comédien marquant de l’aventure du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine dans les années 1970, Philippe Caubère vogue depuis en solo. Après avoir notamment livré une importante œuvre autobiographique sur scène, il revient avec un spectacle sur André Benedetto, figure importante du théâtre militant de la deuxième moitié du XXe siècle. L’occasion de le rencontrer pour parler théâtre, et notamment celui d’aujourd’hui, dans lequel il ne se reconnaît plus.

Pourquoi avoir choisi de consacrer un spectacle à André Benedetto ?

Philippe Caubère : Je voulais monter Benedetto parce qu’il est mort il y a trois ans : faire vivre les morts est l’une des missions du théâtre. D’autant plus que Benedetto fait partie de ma vie, depuis que je suis jeune homme. Il a été un maître pour moi, avant Ariane Mnouchkine. C’est quelqu’un qui disait sur le théâtre des choses que pratiquement plus personne ne dit à l’heure actuelle, et qui me paraissent pourtant essentielles, fondamentales. Des choses qu’affirmaient Jean Vilar, Louis Jouvet, ou plus récemment Ariane Mnouchkine.

Car Benedetto avait une vision du théâtre très politique...

Mais le théâtre est politique ! Le théâtre grec l’est, la commedia dell'arte l’est... Ça a avoir avec les affaires de la cité. Le théâtre est la représentation de la société, d’une façon ou d’une autre. Pourtant, le théâtre actuel est de moins en moins politique, et de plus en plus théâtre théâtral, tourné sur lui-même, centré sur des questions esthétiques, de mise en scène, de distribution...

Aujourd’hui, quand on dit théâtre politique, on s’emmerde déjà. On oublie juste que Molière, Racine ou encore Corneille parlaient d’amour et de politique, deux thèmes essentiels. Après, il est vrai que l’œuvre de Benedetto parle assez peu d’amour, dans le sens amour sensuel, pour les femmes. Mais dans sa manière de parler de politique, il y a beaucoup d’amour.

L’œuvre de Benedetto est conséquente (quelque 70 pièces), mais peu connue...

Benedetto, de son vivant, était négligé, largement sous-estimé, voire carrément incompris, comme souvent chez les grands artistes. Il a écrit énormément, une œuvre considérable absolument magnifique mais qui n’était pas dans la mode telle qu’elle a évolué au fur et à mesure des années.

Il y a eu une époque où il se trouvait au cœur de l’actualité, même s’il était déjà très critiqué – on disait que ses acteurs jouaient mal, avec leur accent du midi. Au fil du temps, on l’a de moins en moins compris, sauf son public qui lui était très fidèle. J’ai créé un petit prologue au spectacle où j’ai essayé de parler à toutes les pointures du théâtre en leur disant : vous êtes passés à côté de lui. Ils l’ont trop vite catalogué dans le côté militant machin truc.

Parce que, notamment, c’est lui qui est à l’origine du Off du Festival d’Avignon, en 1963...

Et ils se sont précipités pour l’enfermer là-dedans ! C’est pour ça aussi que j’ai fait le spectacle : je me suis rendu compte à un moment qu’il allait être plus connu comme président du Off que comme artiste. Alors que j’ai envie de dire, notamment aux jeunes, que Benedetto, ce n’est pas un mec qui a une médaille de président du Off. C’est l’un des plus grands artistes de théâtre français !

C’est un peu comme moi en ce moment : je deviens plus connu pour mes positions sur les prostituées que comme artiste [il a publié en 2011 dans Libération une tribune intitulée "Moi, Philippe Caubère, acteur, féministe, marié et « client de prostituées »" – NdlR] ! Ça me fait rire. Cela dit, je préfère être connu comme un acteur qui aime les putes que comme président du Off. Mais là, c’est un autre débat...

Sur scène, on croise aussi d’autres figures théâtrales importantes, comme Jean Vilar...

J’avais envie depuis longtemps de faire un spectacle autour de poèmes de Benedetto, parce que j’adore ses textes en dehors du théâtre. De son vivant, je n’avais pas osé lui proposer, parce que c’était quelqu’un qui avait des rapports aux autres compliqués. C’est le texte sur Jean Vilar qui m’a vraiment décidé à franchir le pas. Un texte qu’il a à moitié écrit et à moitié improvisé, que l’on trouve dans un ensemble qui s’appelle Deux ponts, trois arbres et quatre hommes du Sud, à côté de textes sur Artaud, Jaurès, et le sculpteur Dardé.

Il dit des choses sur Vilar, sur le théâtre populaire, sur le Festival d’Avignon, que tout le monde a oublié. Notamment le fait que le Festival d’Avignon a été créé par un acteur, et non pas par un élu, un technocrate ou un administrateur, comme tout le théâtre d’aujourd’hui. Et ce texte est dans un ton qui m’a semblé jouable. Je peux vraiment incarner Benedetto, avec son accent, ses gestes, sa façon d’être... Je le copie, ce qui me semble être l’origine du théâtre : un acteur copie.

Urgent crier !, jeudi 11 octobre à 20h, à l’Heure bleue (Saint-Martin-d’Hères).

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