École d'art : pression / dépression

Comme de nombreuses écoles françaises, l’École d’art de Grenoble a vécu une refonte assez radicale de son fonctionnement ces dix dernières années. Plus que jamais, la question du « pourquoi » et du « comment » transmettre « l’art » se pose… Plus que jamais, le terrain semble miné. Alors une question : le dynamisme espéré n’est-il qu’une promesse ? Laetitia Giry

L’École supérieure d’art et de design (plus connue sous le nom obsolète d’école des Beaux-arts) de Grenoble a sa petite réputation, et n’est pas mal placée dans le classement des formations artistiques dont s’extraient des personnes qui deviendront de fait actives dans le monde de l’art. En franchir les portes aujourd’hui, en tant que simple visiteur, donne pourtant l’impression de pénétrer un vieux squelette. Une charpente de souvenirs, des lieux dont la grandeur passée ne laisse aucun doute, mais qui semblent désormais laissés à l’abandon… Les salles défilent, immenses, lumineuses, étonnamment vétustes. Les ateliers pullulent d’objets et d’outils : on sent la fabrication possible. Les désirs peuvent se mettre en œuvre, mais le goût reste amer…

Pourquoi diable ne pas restaurer la splendeur des lieux ? Pourquoi ne pas se donner les moyens de pouvoir s’affirmer comme vitrine ? Porter des étudiants vers une vie artistique, c’est les engager dans une voie réflexive s’inscrivant dans le monde de la représentation, c’est donc aussi construire une image. Pour le moment, les événements se déroulant au sein de l’école (séminaires, colloques, conférences, expositions) restent pour le moins confidentiels, pérennisant la triste réalité de l’entre soi. Un fait amené à changer grâce à la refonte du site internet, à la constitution d’une newsletter, aux efforts de communication engagés dans la voie d’une ouverture vers le public. Une école donc en voie de mutation, que l’on sent profondément engourdie par la réforme…

Réformés !

La réforme… Mais quelle réforme ? La loi de décentralisation du 4 janvier 2002, qui a poussé les écoles à se transformer en EPCC (établissement public de coopération culturelle), à acquérir ce statut pour s’aligner sur une constante permettant de valider des équivalences. Pour Grenoble, cela a été synonyme de fusion avec l’école de Valence en janvier 2011.

Inge Linder-Gaillard, responsable des études et de la recherche depuis janvier 2012, nous précise : « Avant, c’étaient des écoles municipales, mais elles ne pouvaient plus dépendre des mairies si elles voulaient que leurs diplômes soient reconnus. On reste publics, mais on est autonomes – comme les universités, structurellement parlant. On dépend à la fois du ministère de la culture et du ministère de l’enseignement supérieur, et si les instances qui font des évaluations indépendantes décrètent que le diplôme peut être reconnu, ça permet de profiter du système LMD : Licence, Master, Doctorat. »

Des points indéniablement positifs se dégagent ainsi des changements entrepris, mais comme le fait remarquer Inge Linder-Gaillard, « ce sont des réformes excitantes mais dont tout le monde se méfie un peu aussi… La grande question, c’est : que faut-il accepter ? Faut-il résister ? Car le statut des écoles d’art dans le paysage de l’enseignement est un peu étrange, et notre souci est de pouvoir garder notre spécificité, notre liberté, et faire en sorte que les étudiants s’épanouissent dans leurs projets personnels ».

La médaille et son revers

Qui dit cadrer dans un système dit en effet s’adapter à ses règles… Et voilà qui est plus problématique quand l’on évoque le type d’enseignement proposé dans une école d’art. Car il faut bien le reconnaître, ce dernier ne peut fleurir que dans des démarches sortant de l’ordinaire. Par définition, il est piétinement de la notion de cadre. Comme le dit Emmanuel Hermange (historien de l’art, critique et professeur à l’école) : « On enseigne l’art à partir d’un paradoxe spécifique : c’est une discipline qui par essence ne s’enseigne pas. Cela suppose tout de suite une certaine complexité, on ne devrait pas être là, mais on y est quand même parce qu’il y a une tradition qui s’est installée pour des raisons historiques. La grande place accordée à la notion de métier a perdu peu à peu en importance et été complètement remise en cause au vingtième siècle. L’enseignement de l’art est resté à cause ou grâce à cette tradition mais s’est complètement transformé, et de plus en plus vidé de sa nécessité en même temps que la notion de technique s’atténuait. Il reste quelque chose de très flottant… On transmet quoi ? On transmet des expérimentations. Une transmission fragile, plus que dans d’autres disciplines, on ne peut jamais s’asseoir sur des formes bien établies. »

Dès lors, concilier ces contradictions se profile comme une bien vaste impasse, ce flottement s’accordant mal avec la rigueur factice que les hautes instances imposent. « Cela pose de vrais problèmes car on nous demande de rentrer davantage dans un moule universitaire, avec tout ce que cela suppose en termes d’organisation. Les directeurs ont une pression qu’ils transmettent sur le cadre. On est nombreux à vivre difficilement cette transformation d’une école qui devient de plus en plus scolaire ; l’aspect expérimentation que pouvait comporter certaines écoles auparavant tend à s’estomper. On est en train de constater que la réforme, en nous faisant montrer patte blanche, en nous faisant faire les choses dans les règles, entraîne une baisse de niveau dans les productions proposées par les étudiants. Il y avait avant un aspect plus bordélique qui permettait une sorte d’ébullition. »

Aux armes !

De notre point de vue, l’école est de fait bien peu intégrée au paysage culturel grenoblois. On ne constate pas de folle émulation. Pour exemple : la sous utilisation de la très belle galerie située au sein de l’ESAD (École supérieure d’art et design donc), ou celle nommée galerie Xavier Jouvin sur le quai éponyme. Des expositions s’y déroulent dans l’ignorance quasi systématique. Certains étudiants, conscients d’un certain manque d’énergie, ont mis en place une association – Tost – visant à mieux faire circuler les informations et partager plus, notamment entre Grenoble et Valence. Une association dont l’efficacité reste pour le moment assez floue… Son responsable, Benjamin Dufrene, déplore par ailleurs le fait que l’école soit trop souvent « vide ».

Inge Linder-Gaillard reconnaît quant à elle que « l’école était peut-être un peu trop refermée sur elle-même » et insiste sur son dynamisme et son ouverture à venir. « Il faut que l’on fasse des efforts pour que le public sache ce que l’on fait. » Emmanuel Hermange rappelle qu’« il ne faut pas non plus oublier qu’une école est un cocon. Elle a un rôle qui doit inciter à mener des expériences mais aussi protéger ses étudiants. Quand ils sortent d’ici, c’est d’une violence… Le sort réservé à ceux qui ont la prétention d’être artiste aujourd’hui est très dur. Oser être auteur, c’est s’exposer à des traitements difficiles… Mais c’est pour certains la seule vie possible ! On les incite à limiter la schizophrénie un maximum, à observer des passages possibles. Voir comment le travail alimentaire peut nourrir dans les deux sens. »

De fait, ils sont nombreux à sortir diplômés et exercer des métiers dans le monde des arts (médiation, commissariat d’expositions, etc.), tout en poursuivant leur production artistique de manière plus marginale… A ce jour, le défi réside donc à la fois dans la pérennisation de sa fonction et de son rôle (l’école doit garder son identité sans devenir une université), et dans sa capacité à prouver qu’un fourmillement artistique intégré à la société est possible. Comme le prouve le projet Post-off, initiative d’anciens élèves de l’école qui consiste en une appropriation artistique de l’espace urbain et fait son petit bonhomme de chemin à Grenoble… L’enseignement et la pratique de l’art peuvent vivre des moments ternes et renaître à tout moment. Et s’ils étaient d’ores et déjà entrés en résistance ? Et si, à partir de ces bonnes paroles, d’une prise de conscience et d’actes, l’école était de fait en train de rebondir ? C’est tout ce qu’on lui souhaite.

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