Dans la peau de Michel Delpech

À 66 ans, Michel Delpech, chanteur ayant su traverser les époques sans se caricaturer, se réinvente au cinéma dans "L'air de rien", une fiction où il s’incarne lui-même. À moins que ce ne soit un autre ? Christophe Chabert

Quand commence L’Air de rien, épatant premier film de Stéphane Viard et Grégory Favre, on découvre que le Michel Delpech dont parlent les personnages est bien le Michel Delpech que l’on verra à l’écran. Une question surgit alors : "Pourquoi Michel Delpech ?" Peu à peu, une autre la remplace : "Qui d’autre que Michel Delpech ?" Après la projection, on fait le tour des chanteurs de sa génération pour imaginer un remplaçant possible : Johnny Hallyday ? Trop connu, et déjà embaumé par le cinéma français dans le navet Jean-Philippe. Sardou ? Trop antipathique. Souchon ? Trop sympathique, et pas crédible dans un rôle qui nécessitait fatalement une part de mystère concernant sa propre vie. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : un chanteur dont tout le monde connaît les chansons, mais dont peu savent l’itinéraire personnel, et qui pourrait ainsi à loisir entretenir une confusion entre la fiction et la réalité.

Chansons ordinaires

Delpech confirme : « C’était une façon de s’amuser, de bousculer mon image et mon histoire. C’était aussi un avantage à mon âge, à cette période de ma vie, d’y mettre quelque chose d’un peu fou. » Son âge : 66 ans. Toujours chanteur et donc maintenant acteur, se moquant malicieusement de lui-même en acceptant de se dépeindre en ermite fauché tripotant sa cibie dans une maison en Auvergne. Impossible de ne pas songer à un de ses plus grands tubes où, déjà, il se mettait en scène vieillissant, ironisant sur sa gloire passée. Quand j’étais chanteur, tout le monde s’en souvient, commençait ainsi : « J'ai mon rhumatisme / Qui devient gênant. / Ma pauvre Cécile, / J'ai soixante-treize ans. / Je fais de la chaise longue / Et j'ai une baby-sitter. / Je traînais moins la jambe / Quand j'étais chanteur. » Des tubes comme ça, il en a collectionné à la pelle : Chez Lorette, Le Loir-et-Cher, Les Divorcés, Le Chasseur, Pour un flirt… À l’époque (fin 60, début 70), Delpech est un chanteur dans l’air du temps, plutôt à gauche, qui se saisit des questions de société et leur consacre quelques couplets et un refrain. Certains étonnent encore par leur modernité – un de nos journalistes compare, sans provocation, la mélodie du Chasseur à celles de Morrisey et des Smiths ! Ensuite, il y a ce trou noir d’une bonne dizaine d’années, sorte de dépression mystico-sentimentale au long cours où Delpech cherche du côté de Bouddha puis de Jésus un improbable salut. Qu’il trouvera finalement, c’est plus sage, dans la musique, avec un retour modeste et intelligent où il enregistre de nouveaux morceaux et reprend ses tubes en les interprétant avec des chanteurs de sa génération ou de la nôtre, y intégrant de discrets arrangements world et électro. Quoi d’autre ? On le sait proche de l’agent Dominique Besnehard, ce qui explique à la fois ses débuts au cinéma et l’anecdotique soutien qu’il apporta à Ségolène Royal lors de la présidentielle 2007.

Une part de vrai

Viard et Favre avaient donc le champ libre pour entrer dans la peau de Michel Delpech, comme Spike Jonze l’avait fait avec John Malkovich – un rapprochement pas du tout hasardeux. Leur Delpech est comme une uchronie du vrai Delpech, qui n’aurait jamais fait son come-back et qui, acculé par le fisc et les huissiers, finirait par revenir sur scène de mauvaise grâce. Dans une séquence géniale, ils le confrontent à un Christophe Miossec tout aussi facétieux avec sa propre image : « On s’était déjà rencontrés avec Christophe » explique Delpech. « On est aux deux pôles de la chanson. C’était une sorte de choc des civilisations. » En live, on les voit faire un duo improvisé autour du Chasseur : « On ne savait pas comment il allait attaquer la chanson. C’était Grégory [Montel] qui le gérait vu qu’il jouait mon manager. J’ai vu débarquer Miossec sur scène, je ne savais pas du tout ce qui allait se passer. Quand je l’ai entendu attaquer extrêmement bas… » La suite est aussi drôle qu’émouvante, car Viard et Favre savent capter l’essence d’un concert en lui conservant sa durée par l’usage du plan-séquence. Il y a donc toujours une part du vrai Delpech dans le Delpech de la fiction, une part qu’il a parfois ramenée lui-même comme dans ce passage où il donne un autographe à une femme nommée Véronique, dont on devine qu’elle fut une maîtresse d’un soir. « On était trop pudiques pour aborder ce sujet-là », expliquent les réalisateurs. « On en parlait : il n’a pas de femme, mais est-ce qu’il a des copines, est-ce qu’il faut les montrer ? Tout à coup, Michel a eu cette idée avant le tournage. » Delpech s’en amuse : « Dans le film, tout est essentiellement touchant. C’est la vie. On rencontre parfois quelques Véronique… » Et la suite pour Delpech acteur ? « Le cinéma, c’est du bonus, ça arrive tardivement. J’ai eu la chance de commencer par deux films d’auteur [l’autre, c’est Les Bien-aimés de Christophe Honoré – ndlr], j’aimerais bien continuer dans cette ligne. En plus, je ne suis pas vraiment acteur, donc il faut que je choisisse des rôles  dans lesquels je sais que je pourrai être moi-même. » Là est finalement la question : "Qui d’autre que Michel Delpech pourrait être Michel Delpech ?"

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