Un Tygre dans la Mother

Un Tygre dans la Mother

Dans "Mothers & Tygers", Emily Loizeau rassemble les morceaux de sa personnalité pour ce qui est sûrement son album le plus intime et de loin le plus réussi. Critique et interview, à l'occasion de son concert à l'Heure bleue. Stéphane Duchêne et Aurélien Martinez

« Tyger, Tyger, burning bright ! / In the forests of the night / What immortal hand or eye / Could frame thy fearful symmetry ? » C'est sans doute l'un des plus beaux quatrains jamais écrits par un poète anglo-saxon, en l'occurrence William Blake (1757-1827), et surtout l'un des plus musicaux. Sur son dernier disque, Mothers & Tygers, Emily Loizeau en utilise les deux premiers vers. Il faut dire que Blake est sans doute le poète (et peintre) le plus cité dans la culture populaire : de Jim Jarmusch (Dead Man) à Marvel (Wolverine), d'Alan Moore (From Hell) à David Fincher (Seven), en passant par le Dragon Rouge de Thomas Harris. C'est donc avec Blake qu'Emily Loizeau est revenue via l'Ardèche, d'un Pays sauvage caricaturant par trop le néo-folk hipster américain. Bien lui en a pris, car Mothers & Tygers est un album en parfait équilibre sur plusieurs fils : anglais/français, Blake/Loizeau, folk (aux accents parfois médiévaux)/chanson. On y trouve même quelques perles comme on en entend chez peu de chanteuses françaises : Marry Gus and Celia, petit bijou d'écriture en duo avec Camille, qui s'achève en une envolée de flûtes, ou le final de l'enfantin Parce que mon rire a la couleur du vent. Enthousiastes, on est donc partis à la rencontre d'Emily Loizeau pour lui poser quelques questions...

Comment en êtes-vous arrivée à William Blake ?
Emily Loizeau : Récemment, je suis retombée sur un de ses textes que ma grand-mère me lisait quand j'étais petite. Ça m'a donné envie de me plonger dans ce recueil de poèmes qu'est Songs of Experience. Je le lisais pendant l'écriture de mon disque, j'y ai trouvé beaucoup de résonnance avec ce que j'étais en train de faire.

D'où l'idée de vous exprimer aussi bien en anglais qu'en français...
Depuis l'enfance, je vis avec les deux langues. Et même si, à un moment donné, j'ai eu envie de faire un disque tout en anglais (ce que je ferai sans doute un jour), je crois que j'ai vraiment besoin des deux langues pour m'exprimer pleinement.

Votre nouvel album est très intimiste et apaisé...
J'avais envie de ce moment de confidence, d'intimité – le fait que je me sois isolée dans les Cévennes n'est pas anodin... Ma récente maternité a provoqué un bouleversement intérieur. D'un seul coup, le regard sur l'existence change, tout prend une autre couleur : la transmission, la filiation, la vieillesse, la mort...

On pense forcément à Camille, qui elle aussi a sorti un album où elle évoque la maternité. La croiser sur le titre Marry Gus and Celia semble donc aller de soi...
Il y a une histoire d'amitié à travers ça. On a été enceintes toutes les deux au même moment, nos enfants sont nés à une semaine d'intervalle. Ils ont même échangé leur terme, ce qui était assez drôle. J'ai donc eu envie d'écrire une chanson sur deux enfants qui échangeraient leur âme dans le ventre respectif de leur maman. Et il m'a semblé naturel d'inviter Camille, d'autant plus que je suis une grande admiratrice de ce qu'elle fait.

Que ce soit Camille ou vous, vous êtes toutes les deux des artistes atypiques apparues il y a un peu moins de dix ans en pleine période "chanson française réaliste". Une période pas forcément très riche...
Oui, je m'en sens loin, car ce n'est pas ce qui m'inspire le plus. Mais il y a aussi des gens qui font ça d'une manière qui me touche beaucoup. J'ai moi-même commencé L'Autre bout du monde avec des facettes différentes, notamment issues de cette chanson française avec des titres comme Jalouse ou Je ne sais pas choisir. Mais j'avais toujours une distance un peu absurde dans la manière d'aborder ça. Plus ça va et plus je sens que ça m'inspire moins. Du coup, je me dirige vers quelque chose qui me ressemble plus : une musique influencée à la fois par le classique [elle a étudié le piano étant jeune – ndlr] que par le folk-rock anglo-américain, qui me parle plus aux tripes.

Emily Loizeau, samedi 17 novembre à 20h, à l'Heure bleue (Saint-Martin-d'Hères)

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