Vers le bleu

Si le peintre français Marc Desgrandchamps n’a plus rien à prouver, cela ne l’empêche pas d’exposer des œuvres inédites dans un petit centre d’art, le Vog. Un parcours réduit qui donne accès à une œuvre belle et intrigante. Laetitia Giry

Fervent défenseur de la peinture, Marc Desgrandchamps lui est fidèle depuis plus de trente ans. À sa sortie de l’école des Beaux-arts de Paris à la fin des années 1970, ce mode d’expression n’est certes pas le plus majoritaire dans ce que l’on appelle l’art contemporain, mais il ne lui semble ni « rejeté », ni « délégitimé par le contexte du monde dans lequel on vit ». « Il y a encore à faire avec un pinceau et une toile », se dit-il. On lui sait gré de sa perspicacité… Peinture à l’huile diluée à la térébenthine, étalée couche après couche sur une photographie (« matière visuelle » qui lui sert à « construire les tableaux »), sa technique rend l’image finale plurielle, elle en décale les perspectives et trouble les formes par la superposition de plans. Longtemps reconnaissable par les multiples coulures, « conséquence assumée de la fluidité de la matière utilisée », sa peinture est désormais plus retenue, plus propre et plus nette. « Elle reste assez fluide, mais les écoulements qui étaient manifestes ces dernières années sont bien moins présents, et quand ils le sont, c’est plutôt à l’état de relique. »

Le mouvement du souvenir

Des reliques qui se manifestent avec parcimonie, ponctuant çà et là les objets et corps représentés. Dans ses toiles, pas de nudité totale, mais beaucoup de chair apparente, de scènes de plages ou simplement estivales. L’artiste reconnaît être « attaché à des formes de lumières qui rappellent la présence des êtres et des choses ». C’est ainsi qu’il choisit les sujets de ses toiles, « en fonction d’un impact visuel » et du potentiel de ce dernier à témoigner « de moments vécus ou traversés ». Ses figures sont souvent en marche, engagées dans un mouvement, comme précipitées vers l’avenir, conscientes que le temps ne s’arrêtera pas. Tout comme le peintre a conscience qu’il ne peut figer un souvenir, car « on ne peut pas faire revivre ce qui a été et n’est plus, mais seulement l’évoquer. Par la transposition picturale, je procède à une restitution qui ne se situe donc pas dans l’utopie de faire revivre le passé ; même si, comme dans toute peinture, c’est une façon d’immobiliser le monde. » En affirmant par ailleurs que, « dans le flux des images d’aujourd’hui, les tableaux s’invitent comme des blocs de matérialité au milieu du virtuel », il fait une place d’honneur à ce fameux pinceau, qui prend note sur la toile et renouvelle ainsi en matière pérenne ce qui n’a de cesse de passer…

La Terre est bleue comme une orange

Sans trop de lassitude, Marc Desgrandchamps entend les gens dire de sa peinture qu’elle est « fantomatique ». Il préfère pourtant à ce terme celui de « fantomal », qui « recouvre plus la fluidité des choses ». Si les figures apparaissent (ou disparaissent ?) à la surface de ses toiles dans une subtile transparence, elles réagissent comme dans la réalité, « ne restent jamais fixes, car la lumière est changeante, et ses différents états induisent naturellement différents états de présence ». Présence voilée, chair dissimulée dans la dilution, décor démultiplié : tout ici ploie sous des forces contrôlées et inébranlables. « C'est des beaux yeux derrière des voiles, / C'est le grand jour tremblant de midi, / C'est, par un ciel d'automne attiédi, / Le bleu fouillis des claires étoiles ! ». Cette strophe d’un poème de Verlaine (Art poétique dans le recueil Jadis et naguère) nous amène vers… le bleu. Une couleur que l’on a coutume d’associer au spirituel, et qui s’impose ici comme un constituant essentiel. Car c’est bien un halo de bleu qui entoure quasi systématiquement ses tableaux, venant suggérer à la fois la mer, l’infini, la contemplation, la voûte céleste. « Je suis très sensible au bleu implacable du ciel. C’est peut-être comme une espèce d’écran, comme un filtre. Ce bleu tel que je le peins souvent, c’est plutôt celui de la lumière de la tombée du jour en été, la fin d’après-midi. » Une lumière préfigurant le crépuscule, enveloppant ces « choses » qu’il représente dans le cocon douillet d’une fin infinie.

Marc Desgrandchamps, jusqu’au 22 décembre au Vog de Fontaine

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