Les Misérables

Les Misérables
De Tom Hooper (Ang, 2h30) avec Hugh Jackman, Russell Crowe...

À force d’adaptations, le roman de Victor Hugo devait en arriver là : la version filmée de la version anglaise de la comédie musicale. Elle confirme les limites de Tom Hooper derrière une caméra et accumule les faiblesses manifestes et les fautes de goût impardonnables. Pourtant… Christophe Chabert

Les Misérables n’est pas un bon film. On pourrait même passer la critique entière à en lister les défauts. À commencer par le travail de Tom Hopper lui-même, dont le trop admiré Discours d’un roi montrait déjà les limites : par exemple, Hooper s’avère absolument incapable de donner une forme aux passages non chantés. Alternant grand angle et longues focales, ils sont cousus n’importe comment par un montage aberrant réduisant l’action à une bouillie d’images incohérentes. On peut aussi s’interroger sur la valeur musicale de la partition de Schönberg et Boublil : ces "tubes" pensés pour des chanteurs à voix ont pris du plomb dans l’aile, et seul l’investissement des comédiens permet de leur donner un nouveau souffle. Au milieu de ce casting all stars, on trouve une incroyable faute de goût : Russell Crowe dans le rôle de Javert. L’acteur sort sa grosse voix dans les passages parlés, mais part dans les aigus dès qu’il se met à chanter, sapant toute la crédibilité du personnage. Le récit est ce qui résiste le mieux à ce duplicata musical et cinématographique : on se surprend, même si on la connaît par cœur, à se laisser emporter par l’histoire racontée par Hugo, par l’ambivalence du personnage de Jean Valjean et par le mélange de romanesque et d’histoire politique qui en forme la toile de fond. Quoique, pas tout le temps : le début de la deuxième partie est laborieux et d’une laideur visuelle sans nom, et le finale, qui devrait bouleverser, laisse absolument indifférent.

Spectacle vivant

Pourtant, en de brefs instants, Les Misérables dégage un charme paradoxal, lorsque Hooper adopte un étonnant dépouillement visuel pour laisser le champ à ses acteurs. Qui, chose rare, jouent et chantent en même temps sur le plateau. Pour intensifier cet effet de live, le cinéaste choisit le plan séquence plutôt que le montage fragmenté, et cela donne parfois de véritables instants de grâce : sommet de la chose, l’interprétation par Anne Hathaway d’I dreamed a dream, où elle se donne entièrement à la scène dans une version viscérale et désespérée qui donne le frisson. Idem pour les deux Thénardier joués par Sacha Baron Cohen et Helena Bonham Carter : virtuosité physique et vocale, sens du contrepied et de la rupture, c’est du grand art comique. C’est la seule raison de voir ces Misérables : goûter ce plaisir de la performance, pour une fois nécessaire à supporter les lourdeurs de l’ensemble.

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