Chasse spleen

Et si ce n'était pas la mélancolie

Musée Géo-Charles

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Une fois de plus, le musée Géo-Charles présente une exposition collective et le fait bien. Quatorze photographes, quatorze identités dialoguant autour du geste photographique, de l’excitation du clic à l’émerveillement de l’image ; sa mélancolie et sa joie. Laetitia Giry

Et si ce n’était pas la mélancolie : le titre de l’exposition ressemble à une question mais ne présente pas le point d’interrogation qui le confirmerait. Il nous indique la voie suivie dans le choix et la disposition des œuvres présentées ici, celle d’une contestation de la mélancolie admise comme inhérente à la prise d’une photographie. Enregistrer une image à un instant T revient pourtant bien à capturer un morceau de temps, à figer et glacer quelque chose qui est, tout en ne cessant jamais de passer. « De toute évidence, vivre c’est s’effondrer progressivement. » F. Scott Fitzgerald le sait bien : vivre c’est éprouver le temps, et l’arrêter en un point, c’est avoir l’illusion de le retenir. Pas étonnant alors que les Arts – tous ! – entretiennent depuis toujours une relation si particulière à la mélancolie. De La Mélancolie de Dürer au spleen baudelairien, du moine esseulé de Friedrich au Melancholia de Lars von Trier, peinture, littérature, cinéma : aucun médium n’y échappe… Pourtant, force est de reconnaître que la photographie, plus que tous les autres, s’apparente à un manifeste de fugacité et en cela porte précisément le sceau de cet état de douce tristesse.


Dans la boîte

Auteur du livre Le boîtier de mélancolie, le photographe et écrivain Denis Roche est un peu l’inspirateur de cette exposition. « Le problème de la Beauté s’est déplacé une fois pour toutes avec la première fenêtre ouverte par le premier photographe. Et s’il y a eu condamnation, oui alors c’est que l’un comme l’autre, le photographe comme son sujet, sont appelés à demeurer définitivement dans ce que Poe appelait "l’habitacle de mélancolie". » Joli résumé qu’il met lui-même en pratique dans son travail de photographe. Comme dans un très simple et beau diptyque (4 avril 1989, Trinidad, Farewell house chambre 3202 – photo ci-dessus) offrant deux points de vue depuis un même endroit : une vue du paysage par la fenêtre et une de l’intérieur de la chambre d’hôtel. D’un côté les arbres, la mer, le ciel, de l’autre une femme allongée. Les masses claires du ciel et de la couette contrastent avec le foncé des corps – ceux de la femme et du paysage ; un jeu de correspondance très construit qui enregistre un maximum de données sur l’instant, l’emprisonne en même temps qu’il le libère de la réalité vécue. La notion de plaisir devient évidente, et c’est bien elle qu’Elisabeth Chambon, commissaire de l’exposition, a voulu dévoiler.

Le cochon te regarde

Loin du patchwork organisé faisant souvent la marque des expositions collectives, Et si ce n’était pas la mélancolie s’appréhende dans un apparent désordre. Car les œuvres ne sont pas classées par artiste, mais selon des ressemblances ou dissonances pouvant faire sens. Ainsi le cochon d’Arièle Bonzon (trônant fièrement sur notre couverture) est installé confortablement aux côtés du Conte de la forêt de Pierre Gaudu. Le premier semble sortir de ladite forêt, créant un décalage étonnant entre la grandeur silencieuse de l’une et l’inquiétante impassibilité de l’autre. Cocasse est ce décalage, révélateur de « murmures » possibles entre les œuvres, de la jubilation à les créer, les manipuler et les regarder. Des émotions que l’on retrouve dans une œuvre de William Klein, les Quatre têtes au coin de Broadway et de la 33e rue, une photographie ci-contre pleine de visages et d’expression, au paroxysme de ce que peut ravir un simple clic comme vie et expressions, matière vivante promise à la mort.

Parmi ce florilège d’artistes, notons également l’impériale présence de Pierre de Fenoÿl, dont les géométries d’ombre séduisent l’œil et l’esprit, ainsi que celle de l’énergisante et joyeuse Myette Fauchere, pour finir par celui qui pour nous domine l’espace d’exposition : Eric Bourret (voir ci-contre). Ce dernier présente deux photographies relevant plus de l’apparition magique que de la perception pure, monumentales et captivantes, du bleu profond d’une nuit maquillée de nuages fantomatiques au blanc laiteux d’une montagne himalayenne. On ignore si cela relève ou non de la mélancolie, on ne doute cependant pas que chaque fascination esthétique comporte à la fois du spleen et de l’idéal, un pincement au cœur et un sourire aux lèvres.

Et si ce n’était pas la mélancolie, jusqu’au 19 mai au musée Géo-Charles

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