The Grandmaster

The Grandmaster
De Wong Kar-Wai (Chi-Fr, 2h02) avec Tony Leung Chiu Wai, Zhang Ziyi...

Parti de l’idée d’une bio filmée d’Ip Man, Wong Kar Wai a laissé comme à son habitude dériver sa créativité pour accoucher d’un film d’arts martiaux définitif et maniériste, où la liberté et la maîtrise renvoient à l’horizontal et la verticale aux fondements du kung-fu. Christophe Chabert

Le tournage épique de The Grandmaster, sa post-production sans fin — au point que l’on ne sait pas vraiment si la version sortie en salles ce mercredi est bien la dernière ! — ont relancé la légende de Wong Kar Wai en cinéaste inconscient et indécis, perfectionniste tout en étant dans le doute permanent. Ce qui est assez remarquable à la vision du film, c’est que toutes ces contradictions sont à la fois sur l’écran et complètement balayées par l’inspiration constante qui le traverse.

On sent ainsi que The Grandmaster est le réceptacle d’un certain nombre d’idées qui se sont agglomérées lors de sa fabrication : il y a la biographie d’Ip Man, le maître d’arts martiaux de Bruce Lee, mais racontée avant sa rencontre avec le petit dragon ; l’envie d’écrire l’histoire de la Chine des années 30, 40 et 50, et l’immigration vers Hong Kong qui s’en est suivie ; enfin le désir, louable, de revenir au cinéma de genre après le pastiche stylistique un peu vain qu’était My blueberry nights.

Mais tout cela entraîne d’autres idées, comme celle d’inventer un double féminin, Gong Er, à Ip Man, de feuilletonner le récit pour y faire entrer des échos de mélodrame ou de comédie, et enfin d’aller affronter un autre grand maître, Sergio Leone.

Parfaitement imparfait

Au début du film, avant d’aller livrer un premier combat homérique, de nuit et sous la pluie, avec une trentaine d’adversaires, Ip Man déclare que le kung fu repose sur deux principes : l’horizontal et la verticale. L’important est de toujours tenir debout et de ne jamais tomber, de rester dans le déséquilibre sans jamais y céder complètement. En cela, The Grandmaster se présente comme la transposition de cet adage : sa narration chaotique, qui change abruptement de narrateur, d’époque ou de registre, traduit le besoin de Wong Kar Wai de travailler le film comme une matière vivante, ouverte à l’improvisation ou à la réinvention complète, que ce soit sur le tournage ou au montage.

Ainsi, de nombreuses figures secondaires semblent insuffisamment développées, non pas par manque de temps, mais par choix pur, au feeling. Au contraire, d’autres, comme La Lame, finissent par acquérir un poids bien plus important dans le récit que l’on n’avait pu le croire au départ. Cette liberté-là est pourtant contredite en permanence par l’absolue perfection des images et des séquences, pensées jusqu’au moindre détail visuel et sonore, notamment les impressionnantes scènes de combat, où Wong Kar Wai intensifie tous les éléments du décor.

Se confrontant à la tradition du cinéma d’arts martiaux chinois, le metteur en scène y apporte une incontestable puissance poétique, sans pour autant perdre en efficacité. En témoigne le magnifique duel dans la gare avec le train en marche, ultime morceau de bravoure d’un film qui n’en manque pourtant pas. On peut certes trouver que The Grandmaster marque un peu le pas en son milieu, lorsque le récit s’attarde sur la rivalité entre Gong Er et l’ancien disciple de son père, Ma San ; mais là encore, la métaphore se prolonge : chaque fois que Wong Kar Wai trébuche, il trouve dans la foulée la séquence qui le remet débout.

Le grand maître Leone

The Grandmaster tient aussi grâce à un autre équilibre : la rencontre, casse-gueule mais ô combien réussie, entre trois maniérismes. Celui de Wong Kar Wai lui-même, avec ses ralentis saccadés, son jeu visuel et narratif sur le temps, son obsession des histoires d’amour impossibles et mélodramatiques ; celui du film de kung-fu, avec ce qu’il nécessite de découpage et de reconstruction de l’action, de prouesses acrobatiques impossibles et de réalisme dans la brutalité des coups portés ; et enfin celui, sensible d’un bout à l’autre, de Sergio Leone, auquel le cinéaste se confronte pour la première fois.

Dans sa façon de suspendre un combat pour se focaliser sur un détail anodin, dans sa capacité à esquisser, par la fantaisie du cinéma de genre, tous les enjeux historiques d’un pays et surtout, par cet étonnant final opiacé qui renvoie directement à la conclusion d’Il était une fois en Amérique, Wong Kar Wai fait mieux qu’imiter Leone : il en épouse la philosophie rêveuse et pourtant lucide, celle qui consiste à penser que le cinéma peut tout investir, du plus frivole au plus essentiel, à partir du moment où on le prend au sérieux, comme un art autant intime que politique.

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