La Fille du 14 juillet

La fille du 14 juillet
D'Antonin Peretjatko (Fr, 1h28) avec Vimala Pons, Grégoire Tachnakian...

Premier long-métrage d’Antonin Peretjatko, cette comédie qui tente de réunir l’esthétique des nanars et le souvenir nostalgique de la Nouvelle Vague sonne comme une impasse pour un cinéma d’auteur français gangrené par l’entre soi. Qui mérite, du coup, qu’on s’y arrête en détail… Christophe Chabert

En remplacement d’un LOL galvaudé par l’adolescence sans orthographe, le branchouille a pris l’habitude de placer un peu partout des WTF — pour What The Fuck. WTF : un sigle qui semble avoir été importé pour résumer un certain cinoche d’auteur français qui, à la vision répétée de chacun de ses jalons, provoque la même sensation d’incrédulité. Qu’est-ce qui passe par la tête des cinéastes pour accoucher de trucs aussi improbables, dont une partie de la critique s’empare pour en faire des étendards de contemporanéité là où, même de loin, on ne voit pas la queue d’une idée aboutie ?

La Fille du 14 juillet pousse même un cran plus avant le concept : c’est un film WTF assumé, le rien à péter devenant une sorte de credo esthétique et un mode de fabrication. Derrière la caméra, Antonin Peretjatko, déjà auteur d’une ribambelle de courts métrages sélectionnés dans un tas de festivals — mais refusés systématiquement dans beaucoup d’autres, c’est dire si son cas provoquait déjà des réactions épidermiques ; devant, le dénommé Vincent Macaigne, dont l’aura de metteur en scène de théâtre — dont on a pu lire du bien dans nos colonnes — l’a propulsé comédien et surtout chef de bande de ce cinéma qui se veut bricolé mais qui, à nos yeux, est surtout nihiliste et complètement anachronique.

Paresse, j’écris ton nom

La Fille du 14 juillet se présente en comédie burlesque où tout ferait gag, du physique des acteurs au nom des personnages, des péripéties de ce road movie en temps de crise à ses improbables croisements, sans parler de quelques private jokes dont la plus insensée reste celle où Macaigne dit qu’on vient de piquer «l’argent de la Région» — référence au financement même du film. Tout ça n’a aucun sens et même la volonté d’inscrire l’ensemble dans une réflexion un peu anar sur le temps présent — le gouvernement décide d’avancer la rentrée d’un mois et on ne peut pas travailler si on n’a pas un logement, gage de stabilité puisqu’il faut bosser pour payer le loyer — tombe à plat. Car ce qui reste à l’écran, c’est surtout un manque de rigueur à la fois cynique et paresseux, qui tue dans l’œuf tout ce que le film pourrait avoir de sympathique.

Pourquoi travailler volontairement à faire du cinéma moche, aux effets ratés et à l’amateurisme coupable ? Quel intérêt de poser comme horizon à son ambition celle de réussir un nanar — paradoxe n°1, tout en le camouflant derrière une modernité vieille de soixante ans maintenant, celle de la Nouvelle Vague — paradoxe n°2 ? Par la grâce, justement, de ce goût du paradoxe qui a lessivé la critique française, puis tous les cinéastes qui s’en sont imprégnés jusqu’à ne plus pouvoir penser leur cinéma autrement qu’avec des formules rhétoriques, là où un tournage est avant tout affaire de pratique et de pragmatisme.

Un éminent confrère nous disait récemment que la plupart des notes d’intention reçues au CNC pour l’obtention de l’avance sur recettes étaient en fait la meilleure critique que le réalisateur espérait obtenir à la sortie de son film — qui n’existe donc encore que virtuellement. Alors qu’on glose sans fin sur les égarements du cinéma français en se concentrant sur les problèmes venus d’en haut — frilosité des décideurs, salaires mirobolants de certains comédiens, budgets de production gonflés, techniciens considérés comme variables d’ajustement — il faut aussi instruire le procès de ce cinéma d’en bas qui fonctionne en vase clos et dans l’entre soi, et qui croit que réaliser un film est comme un tour de magie, avec pour seul obstacle son montage financier : on le pense très fort et hop ! il apparaît sur l’écran, auréolé des louanges du «milieu».

L’hallucinant ballet des «partenaires» qui ouvre La Fille du 14 juillet (France culture, Libération, les Inrocks) a de quoi faire ricaner quand on découvre le résultat : tout ce beau monde main dans la main (Donzelli avait ouvert la voie) pour célébrer les noces de Max Pécas et de Jacques Rozier. En 2013.

Sus à la maîtrise !

On ne disputera pas Peretjatko sur les alibis cinéphiles qui président sa démarche ; mais on pourra facilement les renverser un par un. Si le film est tourné et monté n’importe comment, avec des avalanches de faux raccords et des acteurs qui jouent tellement mal que c’en est embarrassant — les deux flics et le juge qui rentrent dans le cabinet du docteur Placenta au début par exemple, parmi lesquels on reconnaît un récidiviste, le type qui jouait déjà dans Les Coquillettes de Letourneur, autre film WTF —, c’est parce que le cinéma d’aujourd’hui est trop parfait. Pensez donc : à l’époque, ma bonne dame, Godard and co, les raccords, ils s’en foutaient, et c’était aussi une manière de protester contre l’uniformisation esthétique du cinéma dominant. Mais le cinéma n’est pas un éternel retour, et Godard lui-même a fini par inventer sa propre maîtrise. Les circonstances, qu’on le veuille ou non, ne sont plus les mêmes, et si 95% des comédies françaises tournées aujourd’hui sont des daubes absolues réalisées par des yes men au service des studios à qui on ne demande qu’une chose : livrer un machin propre et sans âme en respectant le plan de travail, y répondre par son inverse absolu — un truc de traviole estampillé auteur — porte un nom : le nihilisme.

Ensuite, au détour d’une réplique a priori anodine, Macaigne et Peretjatko désignent insidieusement ce qu’il considère aujourd’hui comme le sommet de cet académisme à la française : Un prophète de Jacques Audiard. Audiard, c’est la maîtrise plus le réalisme. Deux pêchés à expier selon Peretjatko ! On sent très bien que dès qu’un bout de réalisme met les pieds sur son tournage, il est irrémédiablement chassé. Le règne du faux est partout dans La Fille du 14 juillet : les acteurs jouent faux, les raccords sont faux, la synchronisation des bruitages et des dialogues est fausse, les accessoires sont faux — des pavés en mousse, des mini-guillotines, des pièces de 0 euro ; ne manquent plus que les décors en carton pâte — ils arriveront en leur temps, du côté de Yann Gonzalez et de ses Rencontres d’après minuit.

Quant à la maîtrise, à quoi bon ? Pourquoi produire un spectacle abouti ? Quel spectateur serait suffisamment couillon pour avoir envie de voir un film qui aurait soigné son scénario, ses effets et sa réalisation, plutôt qu’un work in progress improvisé au gré des idées qui nous passent par la tête ? Et si couillon il y avait, pourquoi devrait-on se plier à ce goût dominant, puisque nous sommes là pour bouger les choses, changer le cinéma, faire la révolution ?

Nanar à l’horizon

En même temps, Peretjatko est honnête avec ce désir de ne pas travailler la forme : c’est aussi le sujet du film : la glande, les vacances, le rien foutre et le rien à foutre ; WTF. Comme ces cinéastes qui font des films ennuyeux pour parler de l’ennui, des films froids pour parler de la froideur, Peretjatko fait du cinéma oisif pour parler de l’oisiveté. Et de prendre comme ultime référence Max Pécas, pas celui des honnêtes films noirs de ses débuts, mais bien celui d’On se calme et on boit frais à Saint-Tropez — dont La Fille du 14 juillet serait une sorte de version gauchiste. La roublardise commerciale de Pécas, par la magie conjuguée du paradoxe intellectuel et de la tautologie théorique, est ici commuée en sincérité absolue, en triomphe de l’indépendance et en résistance à la conformité.

Question, pourtant : quelle différence entre ce type qui lit en douce un manuel pour draguer les filles chez Peretjatko et les blagues de cul chez Pécas ? Le regard du metteur en scène ? La magie a ses limites : Pécas savait sans doute qu’il ne réalisait pas des chefs-d’œuvre, mais jamais il n’a intentionnellement tourné un nanar, plutôt des produits sans prétention destinés à alimenter les cinémas d’exploitation — sinon ses films n’auraient pas gardé cette dimension à la fois sympathique et déprimante qu’ont les ratages complets. En singeant consciemment la nullité de Pécas, Peretjatko produit surtout de l’antipathie et de l’hystérie épuisante.

On terminera en précisant qu’un cinéaste français avait déjà, pour son premier film, tenté un grand écart du même genre : Emmanuel Mouret et son Laissons Lucie Faire. En réaction envers ses camarades de la Fémis, Mouret voulait faire une comédie «pécasienne» et vaudevillesque, espérant en tirer une fraîcheur qui contrasterait avec le sérieux du cinéma d’auteur français. Échec total qui entraîna un rapide rétropédalage du côté de Rohmer, avant que Mouret ne trouve un ton et une forme qui lui sont propres. Un style, quoi, et c’est tout ce qu’on peut souhaiter à Peretjatko : qu’il abandonne la pose WTF et qu’il se trouve un style, un vrai.

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