Concert / Après des débuts difficiles tant avec le public que la critique, Benjamin Biolay met pas mal de monde d'accord depuis quelques années. Ce qui lui vaut d'être désigné pote de cénacle des Gainsbourg, Bashung & co. Un artiste prolifique qui diffuse aussi son venin charnel chez d'autres artistes – principalement des femmes. Petit tour d'horizon des plus emblématiques de ces couples d'un temps, avant le concert que Monsieur BB donnera cette semaine à Grenoble.
Keren Ann
Le premier album en français de la chanteuse d'origine néerlandaise voit le jour en 2000. Il est écrit en collaboration avec un Biolay qui n'a pas encore livré de production solo (Rose Kennedy sortira un an plus tard). Très Suzanne Vega et Joni Mitchell, La Biographie de Luka Philipsen est un petit bijou mélodique, sobre, gracieux, plus folk que chanson française, qui met discrètement en lumière le talent de cette souffleuse de mots constamment Sur le fil.
Fort de cette réussite (qui se réitérera sur deux autres albums), le tandem est alors invité la même année à travailler sur Chambre avec vue, le nouveau disque du vétéran Henri Salvador porté par le fameux Jardin d'hiver (déjà présent sur La Biographie de Luka Philipsen). Une réussite, et un véritable succès qui replace Salvador sur le devant de la scène (explosion des ventes, Victoires de la musique à la pelle...) – même si ce dernier tenta par la suite de minorer la participation de Biolay.
Extrait : « La vie est belle / Un peu moins belle que vue du ciel, vue d'ici / La lune est claire / Et aussi loin, que soit la mer, je la suis » (Sur le fil)
Chiara Mastroianni
Chanter avec son amoureuse, c'est sympa. Et puis ça a tout de suite un petit côté Gainsbourg-Birkin. En 2004 paraît ainsi l'album Home, rencontre musicale entre le couple Chiara Mastroianni-Benjamin Biolay. Nourri au pop-folk bluesy, ce road movie personnel (l'idée aurait germé au cours d'un voyage en voiture) alterne les duos et les solos avec fluidité. Point fort, Biolay a subtilement évité l'écueil de l'amoureux transi, composant un écrin à la mesure de la voix de la comédienne – car à cette époque, les fastes, il les garde pour lui, comme sur le titre À l'origine. Certains morceaux rappellent même sa collaboration avec Keren Ann (Quelque part on m'attend par exemple).
Mais ce Home reste malgré tout une œuvre mineure (on a connu Biolay plus inspiré niveau textes) qui peine à dépasser son concept. Pour l'histoire, le couple se sépare en 2009, avant de se retrouver en 2011 sur un hommage à Jacno, avec la reprise D'une rive à l'autre (initialement chanté par Jacno et Romane Bohringer).
Extrait : « Fume la veuve blanche / Prends-moi par les hanches / Fume une perle thaï / Prends-moi par la taille / Fais des volutes de fumées / Fais-moi du bien, fais-moi du pied » (L'Apologie)
Élodie Frégé
Quand on sort d'une téléréalité musicale, deux possibilités : soit retomber dans l'anonymat, soit se faire repêcher par un compositeur arty (ce qui n'exclut pas de retomber plus tard dans l'anonymat, ça va de soi). La diaphane Élodie Frégé, échappée d'une des premières éditions de la Star Academy, a ainsi eu la chance d'avoir un quelque chose qui a attiré Benjamin Biolay.
En ressort en 2006 Le Jeu des 7 erreurs, surprise de finesse et d'élégance. Surtout les six titres composés par Biolay, comme La Ceinture, Il en faut ou Pas là souvent, monuments qui suintent le Biolay par tous leurs pores et leurs accords. Mais d'autres chansons (de Frégé ou autres) affadissent l'ensemble.
Extrait : « M'adorais-tu vraiment ? / Prenais-tu du bon temps...? / Avec une inconnue / Dans de grands draps écrus ? / Peut-être rouge-sang... Rugissants » (Pas là souvent)
Coralie Clément
Travailler avec sa femme, c'est sympa. Avec sa sœur aussi. Et plus productif dans ce cas – trois réalisations au compteur. Dont Toystore (2008), écrit, composé et réalisé par Biolay. Pour un résultat entre mélodies enfantines nourries aux instruments proches du jouet, et textes plus sombres portant la patte Biolay. Agréable comme un bonbon acidulé.
Extrait : « Je ne sens plus ton amour / Si radieux / Et je n'ai aucun recours / Tu fais comme tu veux [...] / J'ai mal aux yeux de l'amour / Je mets ma main au feu » (Je ne sens plus ton amour, en duo avec Étienne Daho)
Vanessa Paradis
Benjamin Biolay aime les interprètes sur lesquelles il peut plaquer son univers, mais il aime aussi celles qui ont déjà une image, une histoire, un vécu. Avec Vanessa Paradis, sa « chanteuse préférée » qui l'a appelé pour réaliser et produire son tout récent Love Songs, il ne pouvait pas faire du Biolay pur jus, l'artiste trimballant aujourd'hui tout un monde (même si elle n'écrit et ne compose presque pas).
C'est qu'elle a déjà collaboré avec pêle-mêle Serge Gainsbourg, Lenny Kravitz ou encore Matthieu Chédid, sur des albums qui portaient à chaque fois l'empreinte du compositeur (surtout les deux premiers). Ce qui est moins le cas ici, Biolay jouant les chefs d'orchestre discret, ajustant les différentes partitions des autres contributeurs (Mathieu Boogaerts, Carl Bârat, Adrien Gallo des BB Brunes, Mickaël Furnon de Mickey 3D... – oui, que des hommes, et un casting assez divers).
Biolay a ainsi mis de côté ses atours sulfureux et lubriques, pour offrir à Paradis de véritables moments de grâce, comme Prends garde à moi. Ou la poignante Chanson des vieux cons, et son piano qui rappelle Ton héritage, autre titre poignant de Biolay (sur La Superbe). Les deux se permettent même un duo sur le titre Les Roses roses, rencontre amoureuse comme Biolay sait les faire.
Extrait : « Tant qu'on n'a pas brûlé le décor / Tant qu'on n'a pas toisé un jour la mort / Tant qu'on a quelqu'un qui vous serre fort / On tombe toujours un peu d'accord » (La Chanson des vieux cons)
Et les autres
La liste de celles qui ont fait appel à Biolay est impressionnante : les très respectables Juliette Gréco (pour quelques titres sur Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez en 2003) et Françoise Hardy (le très beau À l'ombre de la lune sur Tant de belles choses en 2004), les plus jeunes Daphné (deux chansons sur l'album L'Émeraude en 2005) et Jeanne Cherhal (le morceau J'ai peur sur Charade en 2010) ; les surannées Elsa (Mon amour en 2004 – mouais) et Petula Clark (la sympathique ballade Ton cœur est dans le mien 2012) ; ou encore Isabelle Boulay (pour deux albums) et Judith Godrèche (pour la bande originale du film qu'elle a réalisé en 2010 – Toutes les filles pleurent). Pour l'anecdote, Biolay a aussi arrangé les cordes en 2008 sur le Comme si de rien n'était d'une certaine Carla Bruni.
Bonus : Catherine Deneuve
Dans son film Potiche, François Ozon transforme Gérard Depardieu en député communiste, et – surtout – Catherine Deneuve en Ségolène Royal qui se découvre tardivement une destinée plus grande que celle initialement envisagée. Dans la scène finale, Deneuve bat Depardieu dans les urnes, et chante alors, exaltée au milieu de la foule, le C'est beau la vie de Jean Ferrat. Un titre que Biolay reprend en duo avec Deneuve (la mère de Chiara Mastroianni – tout se tient) sur la bande originale du film, offrant sa nonchalance aux arrangements volontairement lyriques et datés de la réinterprétation – le film se passe dans les années 1970. Coup de cœur. À noter que dans Potiche, Élodie Frégé interprète Catherine Deneuve jeune (quoi, tout le monde s'en fout ?).