Le tour du monde en 34 courts

Compétition
Diffusion des courts en compétition

Le 36e festival du film court en plein air affiche une belle santé cette année, grâce à une compétition portée par des films aux propositions cinématographiques fortes, et par un beau programme de courts tournés dans la région. Textes : Christophe Chabert

Une compétition réussie, dans un festival consacré au court-métrage, c’est la garantie de prendre des nouvelles du monde et dans le même temps de voir comment les jeunes cinéastes l’appréhendent avec leurs outils. En 2013, du côté de la Salle Juliet Berto et de la Place Saint-André, on verra donc comme le monde ne va pas fort : les films n’hésitent pas à empoigner des sujets contemporains qui font mal, dans une litanie qui serait déprimante si les réalisateurs n’avaient l’intelligence de les transcender par leur mise en scène.

Prostitution, immigration, chômage, violences conjugales, racisme, terrorisme, précarité, inquiétudes écologiques, il ne manque quasiment rien de ce qui travaille les consciences politiques et sociales actuellement ; même les comédies se déploient sur un fond de noirceur évoquant vieillesse, mort, solitude ou incommunicabilité. Si les thèmes dessinent une unité sans doute représentative de la production dans sa globalité, cette sélection internationale – on y trouve des films belges, américains, anglais, russes, espagnols, québécois et, bien sûr, français – s’avère en revanche d’une belle diversité esthétique, avec des propositions de cinéma fortes qui devraient secouer, séduire et émouvoir les spectateurs.

Un monde inquiet

La secousse viendra en premier lieu d’un film exceptionnel, The Mass of men de Gabriel Gauchet. Le réalisateur raconte l’ordinaire d’un entretien dans un job center anglais ; à l’humiliation de la précarité s’ajoute la violence d’une bureaucratie aveugle où des fonctionnaires zélés appliquent des règles absurdes sans se soucier des drames humains qu’ils ont en face d’eux. Brillamment écrit et interprété, The Mass of men pourrait n’être qu’un cruel jeu de massacre social s’il ne s’en jouait un autre, bien réel celui-là, et montré dès les premières images sur les bandes de vidéosurveillance, où un individu entre armé d’un pistolet à clous pour accomplir une vengeance sanglante. En livrant au spectateur la version froide, objective, lointaine et muette du drame, puis en la remettant en scène du point de vue subjectif de l’un des protagonistes, donc au plus près des personnages, Gauchet remplace le suspense par de l’inquiétude, et aboutit à un terrible constat moral où victimes et bourreaux – qui sont parfois alternativement l’un et l’autre – se rejoignent dans un égal désespoir existentiel.

Choc toujours avec le bien nommé Solitudes de Liova Jedlicki : une prostituée roumaine vient de subir un viol collectif et, de l’hôpital au commissariat, est renvoyée sans fin à son calvaire, avec à ses côtés un interprète qui hésite entre rester dans son rôle et quitter son impartialité face à la détresse de cette femme. La mise en scène restitue par son sens de la durée la complexité de cette relation, mais aussi la terrible mécanique qui finit par culpabiliser la victime elle-même.

Vladimir de Fontenay dans Mobil homes choisit l’option inverse pour évoquer le sort d’une autre prostituée, américaine et enceinte, qui tente d’échapper avec son jeune fils à son souteneur : une mise en scène impressionniste et sensitive qui passe sans cesse du réalisme caméra à l’épaule façon frères Dardenne à une forme de conte noir à la limite de l’onirisme et du fantastique.

Le spectateur ne sortira pas indemne non plus d’Avant que de tout perdre de Xavier Legrand – retenez son nom, tant son court-métrage, magistral, devrait lui ouvrir rapidement les portes du long : une caissière de supermarché (Léa Drucker), battue par son mari, décide de tout quitter pour partir loin avec ses deux enfants, mais doit auparavant solder ses comptes avec son employeur. Legrand orchestre alors un véritable thriller, parfaitement maîtrisé et d’autant plus fort que le danger reste longtemps invisible. Même lorsqu’il finit par débarquer à l’écran, le mari violent paraît bien calme et doux (et le très bon Denis Ménochet joue cette innocence à la perfection), ce qui est à la fois un habile contrepied dramatique et une juste observation de la question, puisque l’horreur conjugale ne doit jamais franchir les portes de l’enfer domestique pour s’étaler au grand jour.

Un nouveau monde

Tout cela n’est donc pas très gai, mais il y aura quand même des raisons de rire durant ce 36e festival. Un rire de qualité, notamment grâce aux Lézards de Vincent Mariette, comédie de la drague en noir et blanc entièrement tournée dans un hammam, à l’écriture élégante et avec des comédiens formidables : Vincent Macaigne et Benoît Forgeard, qui prouvent qu’ils peuvent se mettre au service d’un cinéma qui ne cherche pas le manifeste puéril et brouillon — vous aurez reconnu La Fille du 14 juillet.

Surprise aussi de voir un étudiant de La Femis, Yann Delattre, s’essayer à l’humour, même un peu noir, dans Les Chrysanthèmes sont des fleurs comme les autres, où l’on raconte une résurrection comme une tragi-comédie villageoise tout ce qu’il y a de plus banale. Le film fait mouche grâce à son intemporalité revendiquée, presque exotique, et l’espièglerie de son regard – les vieux y sont bien plus libres et entiers que les jeunes, trop propres sur eux.

La légèreté, on la trouvera aussi dans l’imposant – et inégal – contingent de films animés de la compétition. Par exemple dans le charmant La Nuit américaine d’Angélique signé Joris Clerté, adaptation pleine d’inventivité d’un court texte d’Olivia Rosenthal. Quant à Bastien Dubois, il fera coup double cette année avec le beau Cargo cult, tourné en motion capture pour un résultat qui lorgne autant vers Terrence Malick que vers la chanson éponyme de Serge Gainsbourg, et Le Wax, jolie pastille documentaire animée sur cette tradition féminine qui consiste, en Côté d’Ivoire, à communiquer avec son mari via les motifs brodés sur les étoffes.

Pour conclure, un mot sur l’ovni de la compétition, qui est aussi une de ses perles rares : Une minute-lumière de Roberto D’Allessandro. L’artiste a posé sa caméra vidéo plusieurs jours d’affilée au même endroit, sur l’esplanade du Trocadéro face à la Tour Eiffel. Ces plans, aux cadrages rigoureusement identiques, il les a ensuite fragmentés et assemblés selon une multitude de cadres à l’intérieur du cadre, où le jour et la nuit, la pluie et le soleil, composent une vision cubiste et en mouvement, comme la rencontre entre les frères Lumière et l’art contemporain. Œuvre fascinante, qui tient autant du court métrage que de l’installation plastique, et qui offre, à partir d’un pur cliché, une expérience totalement inédite : celle d’un morceau de monde que l’on croyait connaître par cœur, et que l’on découvre comme si on posait le regard sur une terre encore vierge.

36e festival du film court en plein air
Du 2 au 6 juillet
Compétition tous les soirs à 20h30 salle Juliet Berto et à 22h30 place Saint-André

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Lundi 5 février 2018 Drame familial anxiogène au réalisme brut et à l’interprétation terrifiante de vérisme, le premier long-métrage de Xavier Legrand offre à Denis Ménochet un rôle de monstre ordinaire le faisant voisiner avec le Jack Nicholson de "Shining" au...
Lundi 30 juin 2014 À l’inverse de l’an dernier, pas de grand choc dans la compétition du festival, mais quelques films qui arrivent à sortir de la glu du réel ou de son imitation pour s’aventurer vers la fiction. Christophe Chabert
Mardi 24 juin 2014 Ce n'est peut-être pas le plus prestigieux de France (à ce jeu-là, celui de Clermont-Ferrand gagne haut la main) ; pourtant, le Festival du film court en (...)
Vendredi 28 juin 2013 Les autres programmes du 36e festival du film court en plein air sont à la hauteur de la compétition elle-même : Nuit blanche consacrée au festival du cinéma (...)

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X