"Italie – Brésil 3 à 2" : gloire au football !

Italie-Brésil 3 à 2

L'Ilyade

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Théâtre / Une pièce sur un match de foot (un quart de finale mythique de la coupe du monde de 1982) dont, en plus, on connaît la fin. OK. Et malgré ça, le spectacle est à voir ? Bien sûr ! Car l’équipe (artistique) aux commandes livre ici l’une des plus enthousiasmantes aventures théâtrales de l’année, pleine de suspens et d’intensité. Rencontre avec la metteuse en scène Alexandra Tobelaim et critique.

Un match de foot, c’est 90 minutes de sportifs bien coiffés qui courent de droite à gauche et de gauche à droite derrière une balle, des slogans publicitaires plein de maillot. Mais un match de foot, c’est (parfois) plus que ça. Surtout lorsque l’on parle de ceux qui ont marqué l’Histoire avec un grand H. Pour les Français, il y a par exemple la finale de la coupe du monde de 1998 qui mit au sport télévisé même les plus réfractaires et qui fit souffler sur le pays un (illusoire) vent d’optimisme black-blanc-beur. Un événement que l’on pourrait surtout résumer par un cruel "France – Brésil 3 à 0".

à lire aussi : "Italie – Brésil 3 à 2" : gloire au football ! (bis)

En Italie, visiblement, il y a aussi un match qui a marqué les esprits : le quart de finale entre l’équipe nationale et la sélection brésilienne (encore elle) pendant la coupe du monde de 1982, qui se déroulait en Espagne. Alors que le Brésil dominait la compétition et ne devait logiquement faire qu’une bouchée de l’Italie, ce n’est pas ce qu’il se passa. Les miracles ne sont visiblement pas que religieux. Et incontestables quand ils se produisent avec un ballon.

Seul en scène

5 juillet 1982. En Sicile, une famille dotée d’une télévision couleur (ce qui n’était pas si courant à l’époque) a invité ses voisins et amis pour regarder ce match tant attendu et tant redouté. Cette famille, c’est celle de l’auteur Davide Enia, qui s’est plongé dans ses souvenirs d’enfance pour écrire sa pièce Italie – Brésil 3 à 2. Un match raconté de son point de vue de gamin de 8 ans, comme l’explique la metteuse en scène Alexandra Tobelaim qui s’est confrontée au texte. « En Italie, on appelle ça du "teatro di narrazione", qui a été traduit en français par "théâtre-récit". Un mouvement qui remonte à Dario Fo [écrivain et metteur en scène italien né en 1926 – ndlr] et qui a connu un nouveau souffle dans les années 1990 avec des auteurs comme Davide Enia. Ce sont vraiment des auteurs-acteurs qui reviennent à un endroit archaïque du théâtre : seul sur scène face à des spectateurs. En général, l’auteur-acteur est assis sur une chaise, avec un musicien, pour instaurer un rapport direct avec le public. Quelque chose qui se vit un peu comme une veillée. »

Sauf que la veillée, dans ce cas précis, se terminera en feu d’artifice – un énorme feu d’artifice même, l’Italie remportant ensuite le trophée suprême en finale contre la RFA. « Une Italie qui se trouve unifiée dans la plus grande fête populaire dans les rues d’Aoste jusqu’à Palerme depuis l’époque de la Libération du nazifascisme » comme l’écrit Davide Enia. Mais tout ça, c’est un peu plus tard, et pour l’instant, on n’est qu’en quart de finale...

Portrait de famille

Davide Enia seul en scène donc. Enfin, pas dans cette version du spectacle, Alexandra Tobelaim ayant confié le rôle de Davide Enia au comédien Solal Bouloudnine. « C’est lui qui prend toutes les voix des personnages. Solal donne vie et corps à toutes les personnes présentes. C’est comme s’il racontait une histoire qui s’est déroulée la veille : mon père a dit ça, ma mère ça, et ainsi de suite... »

Le voisin qui grille clope sur clope (des Nazionali sans filtre), l'oncle qui met les mêmes vêtements à chaque fois que l’Italie joue (« parce que sinon, la chance, elle reste dans la machine »), la mère qui caresse tendrement la tête de son fils, le père et ses innombrables « Oh ! Con »... : ils sont tous sur le plateau. « On a travaillé assez naturellement avec Solal. Il y a une évidence rythmique dans le texte qui a fait apparaître les personnages très vite – même si je ne nie pas le rôle du comédien !  Quand on a rencontré Davide Enia, on lui a dit qu’on voyait tel personnage comme ça, tel autre comme ça, et c’était assez proche de la réalité ! »

Pas que du foot

Mais plus qu’un portrait de famille réussi façon comédie italienne ou qu’une simple pièce sur le foot, Davide Enia a composé un texte finement ciselé et rythmé, comme les meilleurs matches de foot. « Tout est écrit en dialecte sicilien, qui n’a pas grand-chose à voir avec l’italien officiel. Le sicilien est une langue vraiment particulière, et du coup la traduction d’Olivier Favier est vraiment très bonne puisqu’il arrive à retranscrire à la fois la rythmique et à nous faire rentrer dans la chair de la langue. »

Une langue que le comédien fait sienne, dribblant avec dans les accélérations du récit, la laissant respirer quand elle le demande. « Je ne suis pas très sensible au foot. Je ne voyais pas bien l’intérêt d’une pièce sur le sujet. Mais quand j’ai lu le texte, j’ai été conquise. Et encore plus quand on a commencé à travailler avec Solal, parce qu’il prenait vraiment sa dimension dans une oralité qui démontrait qu’on ne parle pas que de foot à travers Italie – Brésil 3 à 2. »

Car si le foot est bel et bien le sujet principal, le propos dépasse le cadre du ballon rond. Notamment lorsque Davide Enia sort de l’espace cloisonné de la maison familiale pour évoquer l’Histoire – toujours celle avec un grand H. « Il y a des digressions dans le spectacle, comme au début sur Garrincha et ces joueurs brésiliens qui ont marqué le football mondial : Davide Enia nous a expliqué que ce sont des choses qui lui sont venues bien après dans le processus d’écriture, une fois qu’il avait commencé à jouer la pièce. »

Comme aussi le destin tragique du Dynamo Kiev, rapporté pendant la mi-temps par l’un des personnages. « Une équipe qui a été assassinée parce qu’elle avait gagné un match de foot contre l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui était à l’époque une sorte de résistance trop violente » explique Alexandra Tobelaim.  Le récit se tend alors l’espace d’un instant, devenant plus grave, avant de reprendre sa course effrénée à l’image du match en question ou, carrément, d’une série à suspens en temps réel.

90 minutes chrono

Et voilà sans doute là le point le plus fort de ce spectacle : il y a un suspens fou dans Italie – Brésil 3 à 2, même si l’on connaît la fin avant même de rentrer dans la salle (elle est dans le titre, c’est dire si Enia l’assume). On fait néanmoins pleinement abstraction de cet aspect une fois que le comédien pénètre l’espace du plateau. « Mon travail de mise en scène était vraiment un travail de passeur puisque le texte contient en lui quasiment toute la construction dramaturgique, avec notamment ce suspens qui m’intéressait. Je n’avais plus qu’à suivre tout ça pour faire émerger ce que je jugeais nécessaire... »

Un aspect sur le rythme renforcé par l’apport du musicien, qui accompagne le comédien. « Au début, on a mis de la musique partout, puis ensuite nulle part, pour finalement la doser afin qu’elle colle avec la rythmique du spectacle. Jean-Marc Montera, qui est un musicien improvisateur, est chaque soir dans le ressenti avec ce que donne Solal. Il a une sorte de cadre qui s’est construit au fur et à mesure des répétitions. »

Une économie de moyens (un comédien, un musicien, et un plateau presque nu) qui cadre implicitement avec le propos abordé : la force et la beauté du sport, et non les à-côtés plus critiquables – qui, sans tomber dans le "c’était mieux avant", prennent une place importante dans le sport contemporain. « On ne peut pas ignorer ce qu’il se passe aujourd’hui dans le foot. Bien sûr, on a réfléchi là-dessus, mais on n’a amené aucune réponse, puisque le texte emmène vraiment ailleurs. » Un ailleurs qui parlera autant à l’aficionado de foot qu’au néophyte et, défi suprême, qu’au réfractaire. Et un ailleurs qui suggère simplement la force des grands rassemblements populaires et des aventures collectives, comme peuvent l’être le football et le théâtre.

Italie – Brésil 3 à 2, jeudi 14 novembre à 20h30, au Centre culturel Jean-Jacques Rousseau (Seyssinet-Pariset)

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 3 septembre 2013 Le foot peut être un univers fascinant, avec ses codes et son rituel qui dépassent largement le cadre sportif. C’est ce que nous démontre implicitement le (...)
Lundi 22 juillet 2013 Ça y est : après deux semaines intenses (avec quatre à six spectacles par jour), l’équipe du Petit Bulletin a quitté Avignon. Dans nos valises, une trentaine (...)

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X