Capitaine Phillips

Capitaine Phillips
De Paul Greengrass (ÉU, 2h14) avec Tom Hanks, Catherine Keener...

Avec un ultra-réalisme saisissant et une constante tension dramatique, Paul Greengrass reconstitue à travers une polyphonie de points de vue une prise d’otages au large des côtes somaliennes, où la star Tom Hanks se fond dans le dispositif documentaire du cinéaste. Impressionnant. Christophe Chabert

En début d’année, Kathryn Bigelow réussissait, dans le dernier acte de son Zero dark thirty, à faire se rencontrer le cinéma d’action et le réalisme documentaire, l’assaut du QG de Ben Laden se transformant non pas en une reconstitution d’un épisode historique mais en pur morceau de bravoure cinématographique. Quoi de plus logique que Paul Greengrass, qui fut le premier à Hollywood à tenter des expériences de ce genre, d’abord avec les deux derniers Jason Bourne – versant blockbusters – puis avec Vol 93 – versant suspense tiré de faits réels – lui réponde aujourd’hui avec Capitaine Phillips, qui étend la virtuosité de Bigelow sur la durée d’un long-métrage entier.

Cela en dit long sur ce que Greengrass a inventé : un style, parfois grossièrement caricaturé en une captation de l’action par une caméra secouée façon reportage d’actualité, mais qui s’appuie surtout sur une multiplication savante des points de vue ; mais aussi une éthique, car s’il y a bien quelque chose qui traverse Bloody Sunday, Vol 93 et aujourd’hui Capitaine Phillips, c’est la volonté de respecter non seulement la vérité des événements, mais aussi les motivations de ceux qui y participent.

Le vrai et le focus

Ainsi, l’introduction de Capitaine Phillips montre le personnage-titre se rendre vers sa nouvelle mission, un convoyage de vivres humanitaires vers la Somalie, tout en ayant une conversation très américaine avec sa femme sur l’avenir de ses enfants, qu’il veut voir s’endurcir pour affronter un monde où la compétition libérale fait rage. Pendant ce temps, à des milliers de kilomètres, sur une plage somalienne, des pirates choisissent leur "main-d’œuvre" parmi la population affamée, celle qu’ils enverront au front de leur prochaine opération consistant à prendre en otage l’équipage d’un bateau pour demander une rançon. Greengrass suggère ainsi l’ironie qui gouverne les rapports nord-sud, où le carburant des uns – l’argent, la réussite – devient le nerf de la guerre des autres, l’ennemi extérieur puisant sa source dans les valeurs défendues par l’Amérique pour lui en renvoyer une caricature anarchique.

Le film ira au bout de cette logique en montrant que si les forts survivent, soit ils finissent en piteux état, soit ils accomplissent leur rêve de la manière la plus cruelle qui soit. La mise en scène glisse aussi vers le chaos, comme si le professionnalisme des uns – Phillips, l’Armée, les Navy Seals, tous présentés avec une caméra moins agitée qu’à l’accoutumée – ne pouvait lutter contre la rage de pirates aussi inexpérimentés que déterminés – et qui ramènent avec eux le filmage saccadé, nerveux et inquiet qui est la marque Greengrass. Le climax final est d’ailleurs révélateur de cette énergie contradictoire et paralysante : le point est fait, le cadre est défini avec précision, mais ce qui se passe à l’intérieur est tellement mouvant et instable qu’aucun passage à l’action n’est possible.

Survivre

La progression des événements est donc pour le cinéaste l’occasion d’une diffraction progressive des lieux et des témoins. Cette maîtrise de l’espace, qui peut s’épanouir aussi bien dans une poursuite entre les embarcations de fortune somaliennes et le bateau américain – c’est la distance qui compte alors – qu’à l’intérieur dudit bateau, avec ses étages et ses espaces interdits – là, c’est la topographie du lieu qui prime – n’est pas sans rappeler celle d’un MacTiernan dans Piège de cristal, dont Capitaine Phillips serait un étrange avatar réaliste. On y pense notamment lorsqu’un des tournants dramatiques du film se joue sur du verre brisé entaillant les pieds nus d’un protagoniste… C’est dire si Greengrass trouve l’équilibre parfait entre son désir de narration sur le vif, en temps réel, au plus près de la vérité, et sa capacité à le fondre dans un divertissement qui scotche le spectateur à son siège durant deux heures quinze sans aucune descente d’adrénaline.

Le choix de Tom Hanks, qui aurait pu être un handicap, est au contraire la preuve la plus flagrante de sa réussite : l’acteur doit se déparer de ses habits de star et se fondre dans un casting de comédiens inconnus et de non professionnels dans leur propre rôle. Mais pas question d’aller trop vite en besogne : Hanks incarne d’abord un Phillips nanti de noblesse, intelligent, stratège, tentant la conciliation et prêt au sacrifice. Mais face à la violence des situations, il est rendu à un pur instinct de vie, loin de l’archétype du héros hollywoodien. Ce souci d’humanité circule aussi dans la peinture faite du gang de pirates, que Greengrass traite avec le plus grand respect : certains sont plus méchants que d’autres, mais il cherche avant tout à les singulariser, à leur donner des raisons contradictoires de persévérer dans un plan sans issue, à exposer leurs peurs et leurs doutes.

En cela, le film n’est ni triomphant, ni rassurant, et se rapproche de quelques autres grands films américains de l’année – de Gravity à All is lost (en salle le 11 décembre) – où l’intensité du spectacle et l’engagement quasi-physique du spectateur dans l’action ne servent en définitive qu’à produire une vision humaniste fondée sur les sentiments primaires et universels – l’angoisse, le désespoir et le désir de survivre.

Capitaine Phillips
De Paul Greengrass (ÉU, 2h14) avec Tom Hanks, Barkhad Abdi, Barkhad Abdirahman…

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