Depuis quelques années, grâce à l'activisme passionné d'une pléiade de petites associations, Grenoble bénéficie enfin d'une offre musicale nocturne à la hauteur de ses ambitions culturelles. Qui se voit plébiscitée en retour par un public sans cesse plus nombreux, plus diversifié, et plus ouvert musicalement. Retour sur un petit miracle encore fragile, mais néanmoins bien réel. Damien Grimbert
Longtemps restée l'apanage d'une petite poignée de villes, la club culture semble enfin avoir trouvé un point d'ancrage à Grenoble. La club culture ? Une vision des soirées dansantes qui ne se limite pas au défoulement, à l'ivresse, à la drague et à l'ostentatoire, mais propose également une véritable dimension artistique, des moments d'échanges humains et de découverte ainsi qu'une vraie mixité sociale, avec comme centre névralgique une passion commune et partagée pour les musiques émergentes.
En d'autres termes, un projet de vie nocturne ambitieux, généreux et innovant qui repose sur une alchimie subtile et bien moins évidente qu'il n'y paraît entre différents éléments : une grande diversité dans l'offre musicale, des lieux nocturnes nombreux, variés et accessibles, un public réactif, diversifié et ouvert musicalement, des associations nombreuses, complémentaires et exigeantes musicalement, et enfin l'existence de "soirées paliers" permettant à un public non spécialisé de s'initier aux différentes tendances musicales, aux DJs émergents de faire leurs premier pas, et aux organisateurs de proposer une programmation musicale plus ouverte et non soumise aux exigences du dancefloor à tout crin.
Des débuts difficiles
Autant dire que tous ces éléments ne sont pas apparus du jour au lendemain. Certes, la scène électronique grenobloise a toujours bénéficié d'une réputation flatteuse, mais on oublie souvent de dire que cette dernière était avant tout liée au talent de ses producteurs et DJs (The Hacker, Miss Kittin, Oxia...), et certainement pas aux soirées proposées in situ. Pour plus d'un passionné de musique venu faire un "pèlerinage" en terres grenobloises, la déconvenue s'est avérée de taille.
Pendant longtemps en effet, l'offre s'est essentiellement cantonnée à des soirées en discothèques "classiques" d'un intérêt musical souvent limité (et impliquant de se plier au petit jeu de la "tenue correcte exigée" et du porte-monnaie bien rempli, pas du goût de chacun) ; et à l'autre extrémité du spectre, des soirées alternatives certes non dénuées de charme, mais guère accessibles au grand public, et opérant souvent dans un registre musical assez resserré. Au milieu de ces deux extrêmes, enfin, un vaste désert, à l'occasion rempli par une soirée aventureuse jouant la carte de l'hybridation, mais dont le caractère très épisodique rendait difficile l'identification par un public régulier. Résultat des courses, peu de soirées, des scènes musicales très cloisonnées, un public rarement érudit et encore moins porté sur l'innovation, et une fréquentation extrêmement aléatoire compliquant encore le travail des organisateurs audacieux...
Des lendemains qui chantent ?
Et puis, lentement, progressivement, difficilement, les choses ont commencé à changer au milieu des années 2000. Grâce à l'émergence d'une nouvelle génération élevée à internet pour laquelle tous ces cloisonnements ne faisaient pas sens, grâce aussi à l'apparition de lieux intermédiaires comme le Bar MC2 en 2006, facilement identifiables et suffisamment chics pour ne pas intimider le grand public, mais ne pratiquant pas de sélection vestimentaire à l'entrée, offrant des tarifs accessibles à tous, et proposant une programmation musicale à la fois diversifiée et de qualité, ainsi que des soirées gratuites ouvertes aux DJs du cru.
Une première étape qui a ensuite permis, aux alentours de 2009/2010, à toute une pléiade d'associations de prendre le relais, investissant des lieux nouvellement créés comme le Drak-Art, ou se métissant avec celles déjà actives à l'Ampérage. Et ainsi d'amorcer le début d'un cercle vertueux : un nombre de soirées et de lieux exponentiels, rassasiant un public sans cesse plus nombreux, plus érudit, plus ouvert d'esprit et plus diversifié, ce qui encourageait en retour les organisateurs à prendre plus de risques en termes de programmation (avec des artistes à la fois plus pointus et plus renommés), et d'hybridation (certaines soirées enchaînant par exemple des DJs set drum'n'bass et house, ce qui aurait été complètement inconcevable encore quelques années plus tôt).
Autre facteur crucial, l'arrivée des fameuses "soirées paliers" évoquées en début d'article. À des lieux pionniers comme le Mark XIII se sont ainsi greffés les apéros-mixs du mardi à la Bobine, les Mercredis pimentés au Canberra, des soirées thématiques au O'Brother et au Bauhaus... On pourrait encore ajouter l'arrivée du Bal Ptit Club, les efforts de programmation redoublés du Vertigo, le succès remporté par des festivals comme Jour & Nuit et Bassodrome, l'ouverture prochaine de la Belle électrique... et la liste est encore longue.
À Grenoble, on peut désormais sortir du mardi au dimanche, écouter une liste quasi inépuisable de styles musicaux, découvrir des artistes internationaux pointus qu'on n'aurait jamais espéré voir il y a encore quelques années, admirer les progrès incessants de jeunes DJs locaux, et assister chaque semaine à des moments de liesse musicale euphorisants. Alors certes, il reste encore beaucoup à faire, et la suspension des autorisations de fermeture tardive de l'Ampérage et du Drak-Art montre bien à quel point les progrès de ces dernières années restent extrêmement fragiles et précaires. Il n'empêche : Grenoble n'a désormais plus à rougir de sa vie nocturne. Pourvu que ça dure...