Gloire aux films «mal vus»

Ouverture "Girly"
"Belgian Psycho" de Katia Olivier (Bel, 2011) + "Perdita Durango" d'Alex de la Iglesia (Mex-Esp-ÉU, 1997)

Voilà la sixième édition du festival Les Maudits films qui déboule, toujours animée par l'envie de proposer un cinéma hors des sentiers battus. Ce que nous explique Karel Quistrebert, déléguée générale du festival. Et ce que confirme la programmation. Porpos recueillis par Dimitri Crozet

Le festival en est à sa sixième édition. Il a dû évoluer depuis cinq ans…

Karel Quistrebert : Déjà, comme on peut le voir en comparant les affiches, on a un graphiste maintenant ! Ensuite, il y a une compétition depuis l’an passé. C’est une idée que j’avais en tête depuis un moment, mais j’avais besoin de quelqu’un pour gérer ça. Parce que le nombre de films qu’on voit dans une année pour les quelques films projetés, ce n’est pas quantifiable. Quand François Cau [ancien rédacteur en chef du Petit Bulletin Grenoble et responsable "Compétition" du festival – ndlr] est arrivé, on a eu la même vision des choses, on se complète bien. Ça m’a permis de me concentrer sur la rétrospective.

La ligne éditoriale pour la programmation a-t-elle aussi bougé ?

La définition du "Maudit Film" a pas mal changé depuis la première édition. On a appelé ça "Maudits Films" il y a six ans parce qu’on sélectionnait essentiellement des courts-métrages qui étaient refusés dans les autres festivals. C’était aussi une référence au Festival du film maudit de Biarritz, créé en 1949 par Jean Cocteau. Je ne pensais pas tant en terme de films bis, plutôt en terme de films parallèles. Aujourd’hui, plutôt que de parler de "films maudits", on pourrait dire "mal vus", c’est-à-dire peu vus ou vus de travers à leur sortie. Mais l’idée reste la même : on fait des séances de rattrapage, sachant que le pire est de regarder un film sur un écran d’ordinateur. Nous, on veut pouvoir montrer les films sur grand écran et dire aux gens : "levez les yeux, ouvrez-les".

Peut-on donner une définition de ce qu’est le "cinéma bis" ?

Déjà, on peut dire ce ne sont pas que des films fantastiques ou de science-fiction. Il y a une diversité de points de vue cinématographiques. Ensuite, il n’y a pas de date. Par exemple, l’an dernier, on a projeté un court-métrage muet de 1916. Si l’on revient aux bases de la série B, il s’agissait de petits films faits pour les avant-programmes des séries A, souvent avec peu d’argent, où l'on réutilisait les décors, les costumes, où l’on testait les acteurs. Je rêverais d’une nuit entière avec les films Sherlock Holmes tournés à cette époque avec Basil Rathbone. Après, dans les années 70, est arrivé le cinéma d’exploitation, où l'on s’est demandé ce que les gens avaient envie de voir. En l’occurrence de la violence, des morts, du sexe et du gore. Et ça a marché, avec des films toujours à petits budgets, souvent distribués dans les cinés de quartier, les drive-in.

Ça reste une définition assez large. La preuve, il y un documentaire en compétition cette année, c’est un format qu’on n’associe pas forcément aux films bis…

J’ai toujours peur avec les documentaires qu’ils tombent dans le voyeurisme. On peut faire du docu et du cinéma. Dans The Act of Killing [le documentaire en compétition cette année, qui retrace les exactions d’un bourreau pendant le génocide indonésien de 1965  ndlr], cinématographiquement, il y a quelque chose. Il y a une force émotionnelle dingue, c’est simplement effroyable. On dit parfois que la réalité dépasse la fiction, là, c’est le cas, ça vaut tous les films d’horreur possibles. Mes critères, c’est qu’il y ait du cinéma et de l’émotion, là c’est le cas.

Et vous ne vous interdisez pas des films à succès, comme Frankenweenie de Tim Burton cette année ?

Là, j’avais envie de montrer du merveilleux aux enfants. L’éducation à l’image, ça commence tôt, je m’en rends compte en tant que maman. Un film comme Coraline (2009) qui a été vendu pour les enfants, pour moi, ce n’est pas avant 10 ans. On a fixé à partir de 8 ans pour Frankenweenie, ça permet d’amener des enfants vers ce cinéma-là ; pour les plus jeunes, on prévient que ça peut être impressionnant. Mais il y a toujours une volonté d’élargir, je veux toujours en montrer plus, et le faire sur grand écran et dans une belle salle de cinéma.

On parlait d’émotions : quels sont les plus beaux retours du public que vous ayez en tête ?

Une année, on a passé L’Invasion des profanateurs de sépultures (1956). Pendant la discussion après la projection, on a un homme d’une cinquantaine d’années qui nous a dit : "je suis venu voir une série B, je pensais voir un film mal foutu et j’ai vu un chef d’œuvre". La preuve, c’est qu’il y a eu trois autres adaptations au moins après. Quand on a entendu ça, on s’est dit : "c’est bon, c’est gagné". Parce qu’on veut que les gens ne s’arrêtent pas à l’idée qu’une série B est un mauvais film. J’ai souvent entendu "Maudits Films = mauvais films", ce n’est pas le bon raccourci.

Finalement, c’est une contre-histoire du cinéma que vous proposez ?

Plutôt une histoire parallèle. On ne s’oppose pas aux classiques ! Mon film de chevet, c’est Citizen Kane. J’ai aussi besoin de voir du Carpenter. Si je suis d’humeur mélancolique, je peux regarder du Godard – je regarde du Godard seulement à ces moments, d’ailleurs ! Chez un auteur comme Orson Welles, j’aime tout : le cadre, la musique, la lumière, les mouvements de caméra. C’est comme un bon bouquin, il faut que ça coule. Je mets en relation la grammaire cinématographique et l’écriture. Une faute de raccord, c’est comme une faute d’orthographe.

La volonté, c’est de réunir des publics en montrant plein de choses qui ont une charge émotionnelle, de dire à ceux qui aiment les classiques qu’il y a d’autres films qu’ils aimeront autant, et de dire à ceux qui aiment le bis qu’il ne faut pas faire une croix sur les classiques seulement parce que ce sont des classiques. On veut que les gens aient la boule au ventre, les larmes aux yeux, le rire présent, en sortant de la salle. Je ne sais pas si on y arrive mais on essaie. "Soyez curieux et prenez votre pied", c’est ça l’idée.

Une anecdote, le 24 janvier au Club, il y aura en même temps une séance du festival et les frères Dardenne. Je trouve ça génial, c’est ça un cinéma pour moi, c’est la diversité.

Obtenir des copies de ces films parfois très confidentiels, c’est compliqué ?

Pour les films en compétition, qui sont tournés en numérique, c’est assez facile, à part pour les sous-titrages. Certains films qu’on projette sont inédits sur les écrans français. C’est plus compliqué pour la rétrospective, sachant qu’un film tourné en pellicule, on doit le projeter en pellicule. Quand on vient voir un Picasso, on ne vient pas voir une reproduction, aussi belle soit-elle, c’est pareil pour ces films.

Cette année je projette Outrages, un film de 1950 d’Ida Lupino. Déjà, un film par une femme en 1950 à Hollywood, je ne crois pas qu’il y en ait eu beaucoup. Et puis cette femme était dingue. C’est un film sur le viol, elle a abordé la bigamie aussi avant. Ça doit être la première fois que ce film repasse sur grand écran depuis sa sortie, et quand j’ai su qu’on pourrait le projeter, j’en ai pleuré.

Comment êtes-vous financés ? Le fait d’émaner du Centre Culturel Cinématographique vous aide-t-il ?

Le CCC touche 5000€ de la ville pour l’ensemble de ses activités, on ne peut pas piocher dedans. Mais le fait qu’il organise le festival, tout en projetant des films plus classiques par ailleurs, ça rassure. La ville nous aide en mettant à disposition la salle Juliet Berto, le Conseil Général nous aide financièrement, le Ciné-Club apporte une structure et on rentre dans nos frais avec les entrées aux séances pendant le festival. On a aussi pas mal de partenaires qui nous aident, comme cette année Artus films, la cinémathèque de Toulouse, celle de Grenoble. Et puis, quelques fous furieux qui nous font des dons, et je les en remercie grandement ! Tous ceux qui travaillent sur ce festival sont bénévoles. Finalement, on est à l’image des films qu’on projette. C’est usant, mais quand les gens nous disent merci à la sortie des salles, ça efface les nuits blanches et le stress.

Les Maudtis films, du mardi 21 au samedi 25 janvier, à la salle Juliet Berto (pour la rétrospective) et au Club (pour la compétition).

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