Olivier Dubois : « C'était évident que "Tragédie" se ferait nu, ça ne pouvait pas être autrement selon moi »

Tragédie

MC2

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Dix-huit danseurs nus sur scène pendant 1h30 pour une pièce qui monte, qui monte, qui monte... "Tragédie" est une claque brute, intense et sidérante intelligemment mise sur pied par le chorégraphe Olivier Dubois. Rencontre et critique plus qu’enthousiaste. Propos recueillis par Aurélien Martinez

Le spectacle s’appelle Tragédie, mais il n’est pas du tout tragique ! Pourquoi avoir choisi ce titre ?

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Olivier Dubois : Le fait d’être humain ne fait pas humanité : c’est là la tragédie humaine. Ce titre fait référence au théâtre. Toute la structure de la pièce suit l’avancée du chœur dans la tragédie grecque, avec des épisodes, des péripéties, un exode, une catharsis... Par exemple, dans la chorégraphie, cette marche d’ouverture – les douze pas allers et les douze pas retours –, je l’ai cherchée dans la tragédie grecque française, dans l’alexandrin. Tout a été pensé sous cette forme avec des allitérations, des hiatus, des assonances...

L’architecture de Tragédie est très complexe. Comment avez-vous travaillé pour que cette complexité n’annihile pas la force de la danse ? 

C’est vrai que la pièce est extrêmement complexe pour les interprètes puisque tout est écrit. Et l’écriture ne lâche rien, elle devient de plus en plus complexe au fil de la représentation, d’où une demande physique de plus en plus forte. J’ai donc écrit toute la matière, mais je n’ai pas défini les placements du corps – le placement des mains des danseurs par exemple. C’est cette liberté dans un cadre strict qui permet aux spectateurs de rencontrer dix-huit personnes, et non une masse anonyme. J’ai laissé chaque interprète appréhender le mouvement face à la résistance physique. C’est d’ailleurs à ce moment-là que le corps se métamorphose, et il ne faut surtout pas le cantonner, le restreindre, le cadenasser – il l’est suffisamment avec la partition – pour qu’à un moment il puisse exploser et qu’on découvre tout le relief...

Les dix-huit interprètent sont nus du début à la fin. Un parti pris qui a été une évidence ?

Oui, c’était évident que Tragédie se ferait nu, ça ne pouvait pas être autrement selon moi. C’est un élément essentiel, même si on ne parle pas de nudité dans le spectacle.

Cette nudité est exacerbée par le fait que dès le début de la pièce, vous partagez les interprètes en deux groupes, en fonction de leur sexe...

Dans le processus de création, j’ai d’abord travaillé avec les femmes pendant un moment, puis avec les hommes. L’idée était de créer deux communautés... Pour faire naître le verbe, je suis obligé de créer l’alphabet, c’est-à-dire des consonnes et des voyelles. C’est leur association qui fera sens. L’approche du monde est différente selon son genre. J’ai beaucoup travaillé en amont sur ces questions, mais très peu avec les interprètes pendant le processus de création.

Pourtant, plus on avance dans la pièce, plus l’idée de genre semble gommée par l’idée plus forte de collectif...

Bien sûr. À la fin, on a une peau qui est complètement étendue sur le plateau.

« Ne restent que des plaques de peau, comme des plaques tectoniques. La peau qui gagne du terrain pour recouvrir le monde. Nous sommes six milliards d’humains sur Terre. J’imagine que, nus et allongés, nous recouvririons le monde de nos peaux» comme vous l’expliquez dans la note d’intention...

Oui, c’est une image que j’aime bien. À la fin de la pièce, la nudité disparaît, on ne voit que de la peau...

Le spectacle commence par 45 minutes intenses, très répétitives, portées par une musique proche de la pulsation... Vouliez-vous d’emblée mettre le public dans un certain état ?

Non. Je m’inquiète peu de ça. Je savais que le début devait prendre son temps. Un temps de connaissance et de reconnaissance de chaque interprète.

Vous n’avez donc pas travaillé sur la saturation ?

Non. Par exemple, Révolution [précédent spectacle d’Olivier Dubois, datant de 2009 – ndlr], c’est 2h15 de représentation avec quelque 30 minutes où il ne se passe quasiment rien. Enfin, les gens pensent qu’il n’y a rien – ça les rend fous de voir que les danseuses ne font que tourner ! –, alors que pour moi il y a plein de choses ! Mais à aucun moment ça n’est fait pour créer de la rage ou de l’ennui... C’est autre chose... D’autant plus que dans Tragédie, avec cet uppercut sonore, ce martèlement, on sent bien que l’on va à un endroit. Il y a de l’attente, ça crée de l’impatience peut-être... J’ai fait dernièrement une rencontre avec le public, et l’on m’a dit : "c’est marrant avec vos spectacles, on aime ou on n’aime pas, mais on n’est jamais laissé de glace". Ça, je le découvre maintenant depuis deux ou trois pièces, mais ce n’est pas fait exprès !

Vous présentez Tragédie comme une « pièce manifeste ». Qu’entendez-vous par là ?

Je ne sais créer que comme ça. Pour moi, l’art est par essence politique, c’est une prise de parole plus ou moins forte, plus ou moins audible. Ce n’est absolument pas quelque chose de l’ordre de l’amusement... Je crois en un art incisif, mordant, inquiétant... Même s’il peut évidemment être très plaisant !

Tragédie, créée lors de l’édition 2012 du Festival d’Avignon, a été unanimement saluée. Ce qui n’a pas toujours été le cas avec vos anciennes pièces, comme Faune(s) qui avait violemment divisé la critique et le public en 2008 (le spectacle avait été programmé à la MC2)... Ça doit vous changer ?

Je suis très heureux bien sûr, mais ça ne perturbe ni ne change rien du tout chez moi. Quand il y a eu tout cet abatage sur Faune(s), j’ai réussi à me protéger en me disant que ce n’était que de l’information, du j’aime / j’aime pas. Même si bien sûr je me suis posé des questions – peut-être que c’est nul, qu’il n’y a vraiment rien... Mais à chaque fois que je prenais du recul, je me disais que c’était exactement ce que je voulais faire et comment je voulais le faire. Les retours de Tragédie, c’est l’inverse, c’est la vague, mais je garde une distance avec l’information de la même manière... Ça reste toujours la perception d’un public à un moment donné.

Tragédie, jeudi 23 et vendredi 24 janvier, à la MC2

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