Only lovers left alive

Only lovers left alive
De Jim Jarmusch (ÉU, 2h03) avec Tilda Swinton, Tom Hiddleston...

Retour en grande forme de Jim Jarmusch avec ce film à la force tranquille qui imagine des vampires dandy, rock’n’roll, amoureux et dépressifs, gardiens d’une culture mise en péril par la révolution numérique. Christophe Chabert

Adam et Eve ne sont ni le premier homme, ni la première femme de la création, mais les derniers amants-vampires sur terre : c’est le premier scoop du nouveau film de Jim Jarmusch, joliment ironique. Eve s’est retirée à Tanger, où elle fréquente rien moins que Christopher Marlowe – qui, en plus d’avoir écrit les pièces de Shakespeare, est lui aussi une créature de la nuit, éternelle quoique mal en point. Adam vit à Détroit au milieu de sa collection de guitares et de son studio analogique, reclus et phobique face aux « zombies » qui l’entourent – on ne saura pas si le terme qualifie péjorativement le commun des mortels ou si effectivement l’humanité est désormais divisée en deux catégories de morts-vivants.

Les liens qui les unissent relèvent autant d’un héritage romantique que d’une réalité qui passe par les moyens de communication contemporains : Eve et son iPhone en Facetime (application de visioconférence), Adam avec un bricolage mêlant câbles, télé et caméra. C’est en fait surtout la mise en scène de Jarmusch qui les réunit, comme lors de ses travellings en spirale enchaînés et fondus avec le mouvement d’un antique 33 tours. Son scénario aussi va les obliger à se retrouver : alors qu’Adam, trouvant l’éternité longue et morose, envisage de suicider, Eve vole à son secours pour l’empêcher de se renvoyer ad patres.

L’éternité des ruines

Mis à toutes les sauces ces dernières années, les vampires deviennent chez Jarmusch des remparts culturels ; ils ont croisé tous les génies des siècles passés (même si le film semble dire que le plus grand génie est celui qui choisit de ne jamais accéder à la célébrité), lu tous les livres, écouté tous les disques et, face à l’emprise galopante de la civilisation numérique, du culte de l’ego et du plaisir immédiat (incarnée par la sœur de Eve, Eva, teen vampire adepte du binge drinking là où ses aïeux consomment le sang comme des doses d’héroïne), s’enfoncent dans la mélancolie. Le cool jarmuschien se transforme en une neurasthénie bourrée d’ironie, comme si le cinéaste assumait son côté vieux con tout en s’en moquant joyeusement.

Si son couple possède le charme hipster des pubs The Kooples, le cinéaste le regarde comme des vestiges en ruine d’un temps révolu, aussi sublime que ce théâtre à l’italienne effondré et transformé en parking au cœur de Detroit. « Seuls les amants resteront en vi e» dit le titre, énigmatique jusqu’à la dernière séquence, suggérant que même si le monde disparaît, l’amour aura peut-être droit à son éternité.

Only lovers left alive
De Jim Jarmusch (All-Ang-Fr, 2h03) avec Tom Hiddleston, Tilda Swinton, Mia Wasikowska…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 20 décembre 2016 Une semaine ordinaire dans la vie de Paterson, chauffeur de bus à Paterson, New Jersey, et poète à ses heures. Après la voie du samouraï, Jim Jarmusch nous indique celle d’un contemplatif alter ego, transcendant le quotidien sur son carnet. Une...
Mardi 5 avril 2016 L’architecture du chaos selon Ballard, avec Ben Wheatley en maître d’ouvrage servi par la charpente de Tom Hiddleston… Bâti sur de telles fondations, High-Rise ne pouvait être qu’un chantier prodigieux, petits vices de formes inclus. Vincent...
Mercredi 16 septembre 2015 Il y aura du monde les prochains mois dans les différentes salles de l'agglo grenobloise, dont beaucoup de très bons musiciens. Comme Jay Jay Johanson, Kraftwerk, Christophe, The Jon Spencer Blues Explosion, Socalled...
Mardi 23 décembre 2014 Le Top 10 des lecteurs 1. Gone girl de David Fincher 2. Mommy de Xavier Dolan 3. The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson 4. Her de Spike (...)
Vendredi 25 juillet 2014 De Richard Aoyade (Ang, 1h33) avec Jesse Eisenberg, Mia Wasikowska…
Mardi 3 juin 2014 Quatorzième édition pour le festival Quartiers libres. Avec une programmation pléthorique au sein de laquelle se niche Bachar Mar-Khalifé, musicien franco-libanais qui, l’an passé, a livré un splendide album d’électro-pop arabe teintée de world...
Mardi 20 mai 2014 David Cronenberg signe une farce noire et drôle sur les turpitudes incestueuses d’Hollywood et la décadence d’un Los Angeles rutilant et obscène. Un choc ! Christophe Chabert
Jeudi 2 janvier 2014 Après une année 2013 orgiaque, 2014 s’annonce à son tour riche en grands auteurs, du maître Miyazaki à une nouvelle aventure excitante de Wes Anderson en passant par les vampires hipsters croqués par Jarmusch et les flics tarés de Quentin...
Jeudi 24 octobre 2013 Après "The Host" et "Mother", Bong Joon-ho frappe à nouveau très fort avec cette adaptation cosmopolite d’une bande dessinée française des années 80, récit de SF se déroulant dans un train tournant sans fin autour d’un monde rendu à l’ère glaciaire....
Lundi 27 mai 2013 En couronnant "La Vie d’Adèle" d’Abdellatif Kechiche, incontestablement le meilleur film de la compétition, Steven Spielberg et son jury ont posé un beau point final à un 66e festival de Cannes passionnant en son centre, moins stimulant dans ses...
Samedi 25 mai 2013 "The Immigrant" de James Gray. "Only lovers left alive" de Jim Jarmusch. "La Vénus à la fourrure" de Roman Polanski.
Jeudi 2 mai 2013 De quoi le 66e festival de Cannes (du 15 au 26 mai) sera-t-il fait ? Les films français et américains trustent majoritairement les sélections, les grands cinéastes sont au rendez-vous de la compétition et les sections parallèles promettent leur lot...
Mardi 23 avril 2013 Après avoir croisé Thérèse Raquin et un film de vampires dans "Thirst", Park Chan-wook se délocalise en Australie pour passer "L’Ombre d’un doute" d'Hitchcock au filtre de l’horreur gothique. Le résultat, ultra stylisé et plutôt distrayant, se...
Lundi 21 mai 2012 Poussant son art si singulier de la mise en scène jusqu'à des sommets de raffinement stylistique, Wes Anderson ose aussi envoyer encore plus loin son ambition d'auteur, en peignant à hauteur d'enfant le sentiment tellurique de l'élan amoureux.
Jeudi 22 septembre 2011 Troublant, ambigu, inquiétant, le nouveau film de la Britannique Lynne Ramsay repose sur un propos fort et complexe, ainsi que sur une actrice formidable — Tilda Swinton. Mais sa mise en scène, faite de tics visuels et de symboles appuyés, aurait...
Mercredi 28 février 2007 Critique / Les puristes du chamanisme (certes peu nombreux sur Grenoble, mais bon) pourront arguer du fait que le film de Jim Jarmusch ne traite de (...)

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X