Real

Real
De Kiyoshi Kurosawa (Jap, 2h07) avec Takeru Sato, Haruka Ayase...

Après "Shokuzai", Kiyoshi Kurosawa ose la fable d’anticipation tout en conservant son style intimiste, bavard et glacé, désormais pleinement maîtrisé. Dommage qu’il ne le tienne pas jusqu’au bout de ce "Real" souvent passionnant. Christophe Chabert

À force de filmer des fantômes revenant hanter les vivants, il était presque fatal que Kiyoshi Kurosawa fasse un jour le chemin inverse. Avec Real, il montre ainsi comment un jeune homme, Koichi, va entrer en « contact » avec Atsumi, sa petite amie dessinatrice de mangas dans le coma depuis un an, en espérant la ramener à la conscience. La technologie qui lui permet de l’atteindre est pour le moins sommaire (une sorte de scanner et quelques électrodes) et le fantastique surgit à travers des idées souvent rudimentaires mélangeant trucages numériques, maquillages spéciaux et transparences obtenues sur le plateau.

C’est bien la mise en scène de Kurosawa qui permet de brouiller les frontières entre le rêve et la réalité, et il lui suffit parfois de faire légèrement varier la lumière sur le visage d’Atsumi, de plonger les rues dans une brume opaque ou de supprimer l’ambiance sonore de la ville entourant pour introduire de l’inquiétude. En cela, jamais son style si effacé, cette image sans relief et sans aspérité, n’avait autant servi sa démarche : Real magnifie cette contagion de la réalité la plus banale (y compris dans le torrent de dialogues, inutilement explicatifs comme souvent chez le cinéaste) par un outre monde fait de spectres eux aussi terriblement quotidiens.

Un Orphée japonais

Cinéaste de la suggestion, artiste cérébral et volontairement froid, Kurosawa a plus de mal à négocier les virages émotionnels de son récit. Le labyrinthe de Real prend le pas sur l’histoire d’amour façon Orphée et Eurydice qui lui sert de trame : à l’exception d’une très belle scène où Koichi retrouve le père d’Atsumi sur l’île où ils ont grandi et qu’ils ont choisi d’abandonner en y laissant leur mauvaise conscience, Kurosawa est plus fort pour créer le malaise et la peur que l’empathie.

C’est sans doute ce qui rend la dernière demi-heure si décevante : non seulement le crescendo émotionnel ne prend pas, mais Real s’aventure vers un cinéma beaucoup plus figuratif et attendu. On assiste à une greffe ratée entre l’esthétique neutre du cinéaste et des effets spéciaux dont l’ambition spectaculaire fait toc à l’écran. Kurosawa est beaucoup plus fort quand il les détourne vers de pures visions poétiques, comme dans cette image, inoubliable, d’une ville se fondant longuement en d’infinies coulées de peinture.

Real
De Kiyoshi Kurosawa (Jap, 2h07) avec Takeru Sato, Haruja Ayase…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 15 février 2022 Les amateurs de surréalisme doux pourront éventuellement être séduits par les peintures de Tof Vanmarque exposées à la galerie Hébert. Peuplées de personnages étranges (...)
Jeudi 21 janvier 2021 Dans son second album solo, Obsolète, l’auteur-compositeur grenoblois parle de son époque et de nous autres terriens avec recul et humilité, sur une musique sublimement arrangée. Oui : c’est un coup de cœur.
Lundi 29 octobre 2018 Pour compenser ses années de taule, un innocent commet des délits. Sans savoir qu’il est "couvert" par une policière, veuve de celui qui l’avait incarcéré à tort, elle-même ignorant qu’un collègue amoureux la protège… Encore un adroit jeu...
Lundi 4 septembre 2017 Un démineur breton se trouve confronté à de multiples "bombes" intimes, susceptibles de dynamiter (ou ressouder) sa famille déjà bien fragmentée. Autour de François Damiens, la réalisatrice Carine Tardieu convoque une parentèle soufflante, qui a été...
Mardi 25 avril 2017 Projet pop-électro porté par Wendy Martinez, sa voix, son piano et sa pédale loop, Bye Bye Dubaï sera vendredi 28 avril à la Bobine pour un apéro-concert qui promet. On vous en dit plus.
Lundi 19 décembre 2016 Jusqu’alors spécialisé dans le documentaire, Xavier Rocher a coproduit avec sa jeune société La Fabrica Nocturna "Wolf and Sheep", le très réussi premier film de Shahrbanoo Sadat. Une aventure franco-dano-suédo-tadjiko-afghane…
Mardi 17 novembre 2015 Il sera mercredi soir à l'Ampérage pour dévoiler "J’ai l’amour", troisième album de chanson aussi barré que réussi.
Lundi 6 juillet 2015 Après deux mois particulièrement riches en soirées mémorables, le rythme va commencer à fléchir drastiquement pour les noctambules grenoblois. Raison de plus pour (...)
Mardi 17 février 2015 Un caméraman qui veut tourner son premier film d’horreur, un producteur instable, un animateur atteint d’un eczéma imaginaire, une petite fille nommée Réalité… Avec ce film somme et labyrinthique, aussi drôle que fascinant, Quentin Dupieux propulse...
Lundi 2 février 2015 Chaque mois, Le Petit Bulletin vous recommande ses coups de cœur cinéma ! Au sommaire de ce troisième numéro (...)
Mardi 6 janvier 2015 Les saisons se suivent et ne se ressemblent pas : de janvier à juin, c’est le retour des super auteurs du cinéma américain avec des films qu’on dira, par euphémisme, excitants. À l’ombre de ces mastodontes vrombissants, une poignée de cinéastes...
Mardi 27 mai 2014 DJ/producteur et créateur du label de référence Man Recordings, le Berlinois Daniel Haaksman est avant tout un passionné de longue date des musiques urbaines dansantes venues de l’hémisphère sud. Interview à l’occasion de son passage à Grenoble dans...
Mardi 18 mars 2014 Avoir une double vie, de nos jours, n’a rien d’extraordinaire. Et si, avant, on trompait sa femme / son mari, c’est surtout la routine que l’on (...)

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X