Moins foireux que les derniers "Iron Man" et "Thor", ce nouveau "Captain America" séduirait presque par sa tentative de croiser son héros avec un film d'espionnage sombre et politique. Mais, comme d'hab', ce sont les effets spéciaux et les incohérences qui l'emportent.Christophe Chabert
Que ferait un héros 100% patriotique comme Captain America face au scandale des écoutes de la NSA ? Prendrait-il parti pour Obama et le gouvernement américain, ou jouerait-il les contre-pouvoirs au nom d'une démocratie bafouée ? Dans le fond, ce Soldat de l'hiver ne raconte pas autre chose. Désormais bien intégré au XXIe siècle, Captain America doit faire face à un complot d'ampleur nationale dont les ficelles sont tirées par un gouverneur corrompu et dont le but est de détruire le S.H.IE.L.D. et d'éliminer son directeur, Nick Fury. Le tout repose sur l'accomplissement tardif du projet nazi Red Skull, qui formait le centre du premier volet, et qui devient ici une arme pour effectuer une drastique sélection pas naturelle du tout entre les êtres humains.
Évidemment, le scénario est proche du grand n'importe quoi, comme l'était déjà celui de Thor 2, ce qui n'est pas loin d'être un énorme problème quand on sait que tous ces films post-Avengers se posent en concurrents des séries télé et de leurs mécaniques narratives diaboliques et addictives. Sauf qu'on est au cinéma et, n'en déplaise à ceux qui ne jurent que par l'accumulation de péripéties et l'originalité d'un script — ceux-là qui passent complètement à côté du spectacle épuré de Gravity, par exemple — c'est bien la mise en scène que l'on a envie d'apprécier sur l'écran.
Sur ce point, Captain America : Le Soldat de l'hiver est plutôt une bonne surprise. Car non seulement les frères Russo — qui jusque-là s'étaient illustrés dans la comédie — suivent les pistes politiques de l'intrigue, mais ils en tirent les conséquences dans leur approche visuelle puisque le film baigne dans une ambiance sombre et froide proche de certains thrillers d'Alan Pakula. Quant aux scènes d'action, elles restent dans un premier temps solidement arrimées sur terre, dans un réalisme urbain pas si éloigné de ce que Michael Mann avait pu produire dans Heat et Miami Vice. Captain America lui-même est ramené à sa dimension de yakayo musculeux, plus héros que super-héros, c'est-à-dire presque vulnérable. Presque, car il ne faut pas pousser quand même : cela reste une des faiblesses de toute cette série Marvel, l'incapacité à trembler pour des personnages dont on sait la nature invincible — et la nécessité de les trimballer d'un film à l'autre dans une logique de franchise.
D'ailleurs, Le Soldat de l'hiver semble presque s'amuser avec la chose, tous les personnages mourant au moins une fois dans le film, pour mieux renaître quelques scènes plus loin. Là encore, c'est la faiblesse du scénario qui est à mettre en cause, mais dans une logique pop, l'idée est assez amusante. On rappellera par exemple que le premier OSS 117 avait fait du retour du meilleur ami du héros disparu pendant la guerre un de ses nombreux axes de détournement parodique... Plus ennuyeuse en revanche est l'incapacité, là aussi chronique chez Marvel, de se fixer sur un méchant emblématique, et d'en changer toutes les trente minutes. Le premier, qui s'exprime avec l'accent québécois, est le plus ridicule qu'on ait vu dans un blockbuster depuis très longtemps ; les autres sont plus intéressants, notamment Redford en politicien machiavélique, comme s'il renversait son image forgée dans les polars d'espionnage de Pollack et Pakula.
Redford ressemble au film dans ce qu'il a de meilleur : une sorte de collusion entre la nostalgie vintage pour une époque — les 70's — et la réalité industrielle du cinéma hollywoodien d'aujourd'hui qui oblige à mettre des guest-stars partout. L'image des centaines d'ordinateurs primitifs qui stockent la «mémoire» du projet Red Skull et l'esprit de son créateur — Toby Jones — sont ainsi ni plus ni moins que la reproduction des salles de rédaction immenses que l'on trouvait dans Les Hommes du Président. Sauf qu'ici, ce ne sont plus que des antiquités exotiques paumés au milieu d'une technologie qui macule l'écran à tout bout de champ...
Le Soldat de l'hiver est donc à la fois branlant et sympathique, du moins jusqu'à sa dernière demi-heure, où il est englouti par une surenchère de pyrotechnie numérique épuisante. Plus rien ne tient debout, les effets spéciaux cherchant à faire spectacle, c'est-à-dire à se substituer à la mise en scène. Un dernier mouvement complètement raté, profondément ennuyeux à force de ne pas vouloir ennuyer, qui ne tient plus aucun compte de ce qui l'a précédé et n'apporte comme réponse à la question initiale — que ferait Captain America face à la NSA — que celle-ci : il ferait tout péter, et retournerait courir 15 km en une demi-heure. Et accessoirement, il attendrait sagement de revenir dans Avengers, Age of Ultron avec le seul cinéaste capable de mettre en forme cette tambouille Marvel, Joss Whedon.