Dans la cour

Dans la cour
De Pierre Salvadori (Fr, 1h37) avec Catherine Deneuve, Gustave Kervern...

Rencontre dans une cour d'immeuble entre un gardien dépressif et une retraitée persuadée que le bâtiment va s'effondrer : entre comédie de l'anxiété contemporaine et drame de la vie domestique, Pierre Salvadori parvient à un équilibre miraculeux et émouvant.Christophe Chabert

En pleine tournée et avant même le début du concert, Antoine décide de ne plus chanter dans son groupe de rock. Plus la force, plus le moral. Après un rapide passage par Pôle emploi, il est engagé comme gardien d'immeuble par Mathilde, nouvellement retraitée. Quelques jours plus tard, Mathilde découvre une fissure dans le mur de son appartement, et cette lézarde va devenir une obsession ; la voilà persuadée que c'est tout l'immeuble qui menace de s'effondrer. Pendant ce temps, Antoine doit faire face aux doléances des autres voisins, dont un architecte à fleur de peau et un marginal trafiquant de vélos.

Le dernier film de Pierre Salvadori rompt ainsi avec les tentatives lubitschiennes de Hors de prix et De vrais mensonges pour revenir à ses premières amours : la comédie douce-amère en forme de chronique du temps présent et, surtout, du temps qui passe. Antoine est à bout de souffle social et sentimental, Mathilde en fin de partie existentielle ; ces deux solitaires très entourés vont se prendre d'affection l'un pour l'autre, tentant de combler les vides qui les aspirent peu à peu.

Plus amer que doux

Dans la cour fonctionne sur ce courant alternatif fait de petites joies et de grandes inquiétudes, peignant une époque anxieuse sans verser dans la sociologie petit bras façon Cédric Klapisch. Deux éléments servent de garde-fous à Salvadori : d'abord, le décor de l'immeuble, dont le film ne sort que pour humer l'air intemporel d'un parc pour enfants ou celui, lié au temps affectif de la mémoire, de la maison d'enfance dans laquelle Mathilde a grandi. Ce petit théâtre se peuple, scènes après scènes, de tourments et de névroses ; c'est au sens strict, un cul-de-sac dans lequel chacun s'enferme volontairement et tourne en rond.

La réussite du film repose ensuite sur une série d'audaces, comme celle de faire rejouer sur un mode tragi-comique à Catherine Deneuve son personnage de Répulsion, ou à faire endosser au grolandais Gustave Kervern les habits tristes – et très bien choisis par Virginie Montel, experte en iconisation du quotidien – d'Antoine, cousin éloigné du Locataire. Cette étrange parenté avec le cinéma de Polanski indique que quelque chose ronge le corps trop sain d'un film où la légèreté est contaminée par la noirceur. Celle-ci envahit la dernière partie, bouleversante et imprévisible où la douceur fait définitivement place à une déchirante amertume.

Dans la cour
De Pierre Salvadori (Fr, 1h37) avec Gustave Kervern, Catherine Deneuve, Pio Marmaï...

à lire aussi

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 16 novembre 2021 Mûrie de longues années par Audrey Diwan, cette adaptation d’Annie Ernaux saisit l’ascèse et la précision de l’autrice, pour la transmuter en portrait dépourvu de pathos d’une éclaireuse engagée malgré elle dans une lutte à la fois intime et...
Mardi 19 octobre 2021 En un quasi temps réel, Catherine Corsini passe aux rayons X et à 360° le "moment" social des Gilets Jaunes, dans un lieu essentiel où se joue une comédie humaine si réaliste qu’elle en devient fatalement tragique. Mieux qu’un épisode inédit...
Mardi 3 septembre 2019 Un seul être revient… et tout est dévasté. Cédric Kahn convoque un petit théâtre tchekhovien pour pratiquer la psychanalyse explosive d’une famille aux placards emplis de squelettes bien vivants. Un drame ordinaire cruel servi par des interprètes...
Vendredi 19 avril 2019 Une grand-mère se démène pour empêcher son petit-fils de partir en Syrie faire le djihad. André Téchiné se penche sur la question de la radicalisation hors des banlieues et livre avec son acuité coutumière un saisissant portrait d’une jeunesse...
Lundi 29 octobre 2018 Pour compenser ses années de taule, un innocent commet des délits. Sans savoir qu’il est "couvert" par une policière, veuve de celui qui l’avait incarcéré à tort, elle-même ignorant qu’un collègue amoureux la protège… Encore un adroit jeu...
Lundi 24 septembre 2018 de Benoît Delépine & Gustave Kervern (Fr, 1h43) avec Jean Dujardin, Yolande Moreau, Jean-Benoît Ugeux…
Lundi 12 juin 2017 D’une vendange à l’autre, une fratrie renoue autour du domaine familial… Métaphore liquide du temps et de la quintessence des souvenirs précieux, le (bon) vin trouve en Cédric Klapisch un admirateur inspiré. Un millésime de qualité, après une série...
Mardi 1 septembre 2015 De Jaco van Dormael (Be/Fr/Lux, 1h50) avec Pili Groyne, Benoît Poelvoorde, Yolande Moreau, François Damiens, Catherine Deneuve…
Mardi 12 mai 2015 Portrait d’un adolescent en rupture totale avec la société que des âmes attentionnées tentent de remettre dans le droit chemin, le nouveau film d’Emmanuelle Bercot est une œuvre coup de poing sous tension constante, qui multiplie les points de vue...
Mardi 9 septembre 2014 L’errance suicidaire d’un téléopérateur dépressif en maillot de cycliste. Où la rencontre entre Houellebecq et le tandem Kervern / Delépine débouche sur un film radical, peu aimable, qui déterre l’os commun de leurs œuvres respectives : le désespoir...
Mardi 22 avril 2014 Pierre Salvadori, cinéaste, a construit une œuvre attachante au sein du cinéma français, osant la comédie pour exorciser les démons de ses personnages et ses démons personnels. Comme le prouve cette semaine son "Dans la cour". Christophe Chabert
Jeudi 13 février 2014 "Inbetween worlds" de Feo Aladag. "Praia do futuro" de Karim Aïnouz. "Stratos" de Yannis Economides. "Dans la cour" de Pierre Salvadori. "The Darkside" de Warwick Thornton. "Butter on the latch" de Josephine Decker.
Jeudi 12 septembre 2013 D’Emmanuelle Bercot (Fr, 1h50) avec Catherine Deneuve, Camille…
Vendredi 7 juin 2013 Après des débuts difficiles tant avec le public que la critique, Benjamin Biolay met pas mal de monde d’accord depuis quelques années. Ce qui lui vaut d’être désigné pote de cénacle des Gainsbourg, Bashung & co. Un artiste prolifique qui...
Jeudi 11 octobre 2012 Passant après le calamiteux épisode Langmann, Laurent Tirard redonne un peu de lustre à une franchise inégale en misant sur un scénario solide et un casting soigné. Mais la direction artistique (affreuse) et la mise en scène (bancale) prouvent que...
Vendredi 14 septembre 2012 Faux polar suivant la dérive existentielle d’un dealer juif qui tente de raccrocher pour s’exiler à Tel Aviv, le premier film d’Elie Wajeman opère un séduisant dosage entre l’urgence du récit et l’atmosphère de la mise en scène. Christophe Chabert
Vendredi 1 juin 2012 Comme s’ils étaient arrivés au bout de leur logique cinématographique, Gustave Kervern et Benoît Delépine font du surplace dans cette comédie punk qui imagine la révolution menée par deux frères dans un centre commercial. Christophe Chabert

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X