Festival du court : la compétition glisse sur la fiction

À l’inverse de l’an dernier, pas de grand choc dans la compétition du festival, mais quelques films qui arrivent à sortir de la glu du réel ou de son imitation pour s’aventurer vers la fiction. Christophe Chabert

En 2013, deux films avaient secoué la compétition du festival : The Mass of men et Avant que de tout perdre ; ils ont logiquement trusté ensuite le palmarès, avant de poursuivre une belle carrière dans d’autres festivals et jusqu’aux César. On peut dire, sans trop se risquer, qu’il n’y aura pas de tels favoris dans la compétition 2014 ; pour être honnête, celle-ci étouffe un peu derrière des propositions de cinéma sans surprise, où l’angoisse de ne pas coller à la réalité – sociologique, psychologique ou documentaire – paralyse les cinéastes et les conduit à tourner des films formatés et mornes, quand ils ne confondent pas carrément la radicalité d’un plan fixe avec une totale absence de mise en scène. Sans parler de ceux qui, pensant témoigner de leur époque, semblent la regarder à travers le prisme de la télévision, que ce soit le JT ou les sitcoms – la litanie des clichés sur la banlieue, notamment, est assez embarrassante.

Échappées belles

Heureusement, il y a une poignée d’alternatives stimulantes à cette uniformisation-là. Par exemple Les Petits cailloux de Chloé Mazlo, qui fait renaître le principe de la stop motion et du cinéma sonorisé façon Super 8. Ce désir de rompre avec l’ordinaire du court naturaliste finit par l’emporter sur les limites de la démarche – dans ce film conçu sur le principe d’une maison de poupée, les malheurs de l’héroïne paraissent eux aussi bien étriqués.


LES PETITS CAILLOUX - teaser par chloe_maz

À l’inverse, Ceux qui restent debout de Jan Sitta suit d’abord à la lettre ce programme naturaliste, cumulant même tous les sujets des autres films présentés en compétition : précarité, jeunesse sacrifiée socialement, difficulté d’intégration des enfants de l’immigration, le tout filmé avec une caméra dardenienne s’attachant à des corps en mouvements, plus doués pour l’action que pour la parole. Dans son dernier tiers, cependant, Sitta prend un virage imprévisible emmenant son œuvre aux confins du fantastique, avec des visions assez saisissantes. On aurait du coup aimé qu’il pousse cette logique un cran plus loin, et que le film soit un poil plus long…

Heureux, donc, les réalisateurs qui osent la fiction et l’excès, la stylisation du réel plutôt que sa reproduction. À ce jeu, nos camarades belges restent les plus forts : dans le très drôle et très abouti Solo Rex de François Bierry, le plat pays devient un espace de western contemporain où erre un drôle de type avec sa jument et sa tronçonneuse, et dans lequel on croise un ado en costard de traviole, une fanfare, une vendeuse d’outils qui allaite son bébé devant les clients… Les cadres sont maniaques, la direction d’acteurs précise, l’humour dépressif joyeusement assumé ; une maîtrise qui vient renforcer la tendresse du cinéaste pour ses personnages, qualité belge par excellence.


Solo Rex - teaser from oriGine films on Vimeo.

Ce feel good movie a son antithèse dans la compétition : il s’appelle Ogre et il met en scène un marginal échoué dans une bicoque au bord de l’océan. Trop gros, trop seul, il semble attendre un signe pour reprendre contact avec la vie. Ce sera le regard d’une jolie jeune fille, mais l’étincelle ne déclenchera pas l’incendie attendu. Là encore, la maîtrise de Jean-Charles Paugam est évidente de la première à la dernière image, évitant au film de ne reposer que sur sa chute.


Ogre [Teaser] from Kinou Conseil on Vimeo.

Le choc de la modernité

Face au peu d’intérêt des documentaires présentés en compétition, on préfèrera un réjouissant détournement, qui ne serait que potache s’il n’était si soigné dans sa forme : Le Skate moderne qui, comme son titre l’indique, refait La Vie moderne de Depardon – musique de Fauré comprise – en remplaçant les paysans par des skateurs campagnards ! On doit cette idée hilarante à Antoine Besse, visiblement au fait des ingrédients nécessaires pour réussir un bon "film viral" (il est coproduit par Dailymotion). Mais l’excellent Ben Wheatley avait débuté en faisant pareil en Angleterre, avant de devenir un des auteurs les plus excitants du moment – rappelons donc le nom du réalisateur : Antoine Besse.


LE SKATE MODERNE par kloudbox

Pour finir, notons que les deux meilleurs films de ce festival 2014 ont un point commun : ils ont largué les amarres direction l’Asie. Le premier, La Lampe au beurre de yak, visite la Chine en ne bougeant (presque) jamais sa caméra : et pour cause, celle-ci se confond avec le cadre fixe d’un appareil photo devant lequel défilent familles et jeunes couples. Seul le fond, immenses toiles peintes que l’on déroule au gré des doléances des "clients", varie : paysage urbain ou grande muraille de Chine, montagnes ou océan… Hu Wei réussit toutefois, et c’est son tour de force, à faire surgir la fiction dans son dispositif (l’intervention du maire, le jeune garçon qui refuse de mettre un costume approprié à la situation) jusqu’à ce que le décor factice laisse apparaître le décor réel, créant à tous les niveaux une nouvelle perspective à l’intérieur du film.

Lorenzo Recio, quant lui, a tourné à Taiwan Shadow, formidable conte moderne où un montreur d’ombres tombe amoureux d’une vendeuse à la beauté irréelle avant qu’un accident ne le conduise à une étonnante métamorphose. Visuellement splendide, le film est surtout une source de surprises permanentes ; on ne sait jamais où le récit va nous emmener, et Recio ose d’audacieuses prouesses figuratives qui racontent le choc entre deux époques, celle de l’illusion classique et celle des effets spéciaux numériques. Shadow vise à leur trouver un territoire où ils pourraient cohabiter comme deux formes complémentaires de poésie, et y parvient dans une dernière scène magnifique, la plus belle de toute cette compétition.


Shadow, de Lorenzo Recio (extrait) par Telerama_BA

 

Les dates de projection

Shadow : mardi 1er juillet à 20h30 (Salle Juliet Berto) et 22h (Place Saint-André)

Ceux qui restent debout : mercredi 2 juillet à 20h30 et 22h

La Lampe au beurre de yak : jeudi 3 juillet à 20h30 et 22h

Ogre : jeudi 3 juillet à 20h30 et 22h

Les Petits cailloux : vendredi 4 juillet à 20h30 et 22h

Le Skate moderne : vendredi 4 juillet à 20h30 et 22h

Solo Rex : samedi 5 juillet à 20h30 et 22h

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