"Les Combattants" : les Beaux gosses font l'armée

Les Combattants
De Thomas Cailley (Fr, 1h38) avec Adèle Haenel, Kevin Azaïs, Antoine Laurent...

Pour son premier long-métrage, Thomas Cailley a trouvé la formule magique d’une comédie adolescente parfaite, dont l’humour est en prise directe avec la réalité d’aujourd’hui. Il dispose d’un atout de choc : Adèle Haenel, actrice géniale révélant ici un incroyable potentiel comique.

Présentant Les Combattants à la Quinzaine des Réalisateurs, Thomas Cailley parlait d’une « histoire d’amour et de survie » ; il omettait cependant de préciser que ce programme-là, a priori sérieux, était celui d’une comédie. Peut-être cherchait-il à ménager la surprise : il est donc possible en France aujourd’hui de faire une comédie qui ne soit pas un ramassis de clichés éventés et démagos, un film qui fasse rire tout en dessinant par d’adroites et discrètes notations une image du pays dans lequel il est tourné, mettant en scène une jeunesse déboussolée qui ne sait pas si elle doit vivre – donc aimer – ou survivre.

En cela, Les Combattants, teen movie hexagonal affranchi, s’inscrit dans la droite ligne d’une autre réussite du genre, Les Beaux gosses de Riad Sattouf. Ils ont en commun de préférer les ados mal dans leur peau plutôt que des individus normés et formatés. Cailley met ainsi au cœur de son récit deux personnages qui ont quelque chose de minoritaire en eux. Arnaud reprend avec son frère, parce qu’il n’a rien d’autre à faire autant que par atavisme, la petite entreprise de charpenterie laissée par son père disparu – le premier gag du film tourne d’ailleurs autour du bois dont on fera son cercueil. Par un été ordinaire sur la côte atlantique, il tombe par hasard sur un stand de recrutement pour l’armée de terre et se retrouve, par le même genre de coup du destin, à combattre au corps à corps avec Madeleine, fermement décidée à effectuer un stage intensif avant son entrée dans la hiérarchie militaire.

Jeunes et pas cons

Arnaud et Madeleine sont deux outsiders : lui, timide et indécis, écartelé entre son destin professionnel et ses aspirations personnelles, c’est-à-dire sans véritable perspective sur son futur ; elle, résolue à faire partie d’un univers masculin et viril qui regarde son obstination avec une certaine circonspection. Le basculement du scénario qui poussera Arnaud à suivre, par un amour loin d’être réciproque, Madeleine dans ce fameux camp d’entraînement, en entraînera un autre plus inattendu : alors qu’Arnaud se plie peu à peu aux règles drastiques de ce régiment d’apprentis, le caractère bien trempé de Madeleine s’avère difficile à concilier avec le respect silencieux de l’autorité. Ici, plus encore qu’ailleurs, mieux vaut avoir des muscles qu’un cerveau ; quid, cependant, des sentiments ?

Cette toile romanesque est finement racontée, d’abord comme une chronique du désœuvrement adolescent (que ce soit les conversations entre potes ou un repas familial, excellemment écrit et interprété) puis comme un mitraillage ininterrompu de situations drôlissimes (la meilleure restant le gag à répétition avec la grenade) où les caractères se dessinent et se renversent. Cailley a l’audace de s’aventurer sur le parcours du combattant d’un sous-genre de la comédie française (le film de bidasses, généralement sinistre) et de l’élever au niveau d’un Judd Apatow. Surtout, il enrichit le film d’un sous-texte discret où cette jeunesse montre qu’elle ne veut pas rester à la place qu’on lui a assignée : Arnaud cherche à échapper à son job de charpentier, ses amis discutent d’un exil possible loin de la France tout en reconnaissant que certains coins du globe font tout aussi peu rêver et Madeleine pense que c’est le monde tout entier qui court à sa perte, sans autre issue que de se préparer à survivre à cette apocalypse programmée. Le film se chargera de mettre à l’épreuve ses théories, même si le chaos promis sera réduit à des proportions bien moins dantesques.

Adèle Haenel, du genre hilarante

Madeleine, le personnage comme l’actrice qui l’incarne, ramasse en elle toute la richesse des Combattants. À la fois masculine et féminine, intelligente (elle a un diplôme en macro-économie) et physique, forte et fragile, inquiète et déterminée, elle est l’incarnation de cette envie de brouiller les genres et les clichés pour mieux affirmer une irréductible singularité. Impossible donc de taire l’extraordinaire prestation d’Adèle Haenel, que l’on soupçonnait depuis Naissance des pieuvres d’être une de nos meilleures jeunes comédiennes, mais que l’on n’imaginait pas capable de déployer une telle énergie comique. Il faut prendre l’expression au sens le plus littéral : d’un côté, il y a sa présence physique, cette arrogance hautaine et butée, et de l’autre, sa capacité à remettre tout le monde à sa place par une objection bien sentie ou une vanne lancée d’un ton froid et coupant – donc hilarant. Le tandem de fortune qu’elle forme avec Kevin Azaïs est une des grandes réussites du film, l’assurance de l’une créant un contraste parfait avec la gaucherie de l’autre – même si Cailley remplit insidieusement le fossé qui les sépare.

Ainsi, dans un dernier tiers qui vient lui donner une ampleur émotionnelle insoupçonnée, Les Combattants vire Into the wild en couple, échappée belle et sensuelle qui menace à tout instant de revenir à la routine du quotidien. Il est alors question d’amour ET de survie, sachant que l’un ne peut plus aller sans l’autre : aimer quelqu’un, c’est forcément remettre sa vie entre ses mains ou, à l’inverse, tout faire pour lui sauver la peau. C’est peut-être cela que raconte, dans le fond, Les Combattants : comment le désir amoureux finit par mettre tout le monde sur un pied d’égalité face au danger, les dur(e)s à cuire comme les garçons trop sensibles.

Les Combattants
De Thomas Cailley (Fr, 1h30) avec Adèle Haenel, Kevin Azaïs, Brigitte Rouan…

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