Le Cabaret frappé sera le temps fort de l'été grenoblois. Zoom sur cinq artistes issus de la programmation de cette seizième édition. Stéphane Duchêne
La compagne créole
On ne soulignera jamais assez le talent de caméléon de Rosemary Standley. L'horizon obscurci par son succès country folk initial – et mérité – d'avec Moriarty, on en oublierait presque que la jeune femme est capable de tout chanter. Elle le démontre sur chacun de ses nouveaux projets, à chacune de ses nouvelles prestations, montrant un insatiable appétit de trésors en tout genre pourvu qu'ils se chantent. On a ainsi pu le constater lors de son spectacle de music hall A Queen of Heart ; lors de la tournée Birds on a wire (qui passera par la MC2 à la rentrée) avec la violoncelliste et chanteuse brésilienne Dom La Nena, petit précis de reprises étalées sur cinq siècles ; et même encore, comme un écho, sur Fugitives, le dernier disque de Moriarty – là encore un album de reprises. C'est d'ailleurs avec son groupe que Rosemary retourne à la rencontre d'une personnalité qui l'a durablement marquée : Christine Salem, chanteuse réunionnaise et emblème du maloya, le blues local. Une Salem qui a redoublé le goût de Rosemary pour la créolisation – au sens où l'entendait Édouard Glissant – musicale. Et dont ce concert, aux jointures de toutes les articulations musicales, n'est rien d'autre qu'une nouvelle mise en application.
Moriarty & Christine Salem, lundi 21 juillet à 21h, sous le chapiteau
Il court il court le Tricky
En 1994, il y a donc tout juste 20 ans (bravo aux matheux), l'ami Trickouille posait ses derniers grognements sur Protection, le chef-d'œuvre de Massive Attack – dont il faisait partie de manière quelque peu désinvolte. Après quoi il claqua la porte avec l'assurance d'un Pete Best quittant les Beatles. Pas de bol. Protection fit exploser définitivement Massive Attack sur le front d'un trip-hop scruté alors comme un ovni musical de premier ordre. Sauf que le Tricky Kid est partie avec sous le bras le single Aftermath, refusé par Massive Attack, et sur lequel la voix méphitique de Martina Topley Bird faisait littéralement office de Viagra humain. S'ensuivit Maxinquaye, album ultime de Tricky et pierre philosophale du trip-hop, rincée de singles à déboîtement automatique. Sauf que depuis lors, en dépit d'albums terrassants (Pre-Millenium Tension) et des collaborations savoureuses, le Bristolien n'a jamais cessé de courir – comme on court dans un nuage de fumée, certes – après cette illumination. N'y parvenant jamais, n'abandonnant jamais. Continuant de charrier une armée de convertis de longue ou de fraîche date, dans une ambiance de fin du monde qui ne vient pas non plus.
Tricky, mercredi 23 juillet à 21h, sous le chapiteau
Trompe-la-mort
À la sortie de Ghost Surfer, il était permis de se demander comment le messin Alexandre Longo (aucun lien, amis isérois) alias Cascadeur allait bien pouvoir faire pour ne serait-ce qu'égaler la grâce cosmique de son vol d'essai casqué, The Human Octopus. Comment la pieuvre, déjà fascinante, allait-elle faire pour être à la hauteur sans avoir à se justifier d'un « Hé, j'ai pas seize bras » ? En devenant surfer fantôme. En dématérialisant un peu plus sa pop pour lui permettre non plus de marcher, mais de voler, de flotter, portée par ce timbre séraphique et ceux, épiphanes, de Christophe, Eric Pulido et Tim Smith (Midlake) ou Stuart Staples (Tindersticks). De même, on pouvait se demander comment le trompe-la-mort réussirait son numéro de haute-voltige en live, sans le douillet et rassurant filet du studio. Et puis on a vu. Et en vérité, on vous le dit : ce type ne s'appelle pas Cascadeur pour rien.
Cascadeur, jeudi 24 juillet à 21h, sous le chapiteau
Bel de Jour
Avec ses cheveux couleurs couchant et sa soul chauffante, Joe Bel est le soleil qui depuis un an éclaire Grenoble (d'où elle est originaire et où elle se produit souvent) et Lyon (où elle vit et d'où son talent rayonne). Un EP, quelques clips et plusieurs formules live (en solo ou en groupe, différent mais pareillement efficace) : plaquée contre ses habits verts et/ou léopard, la lionne est allée prêcher sa soul parole un peu partout en France et même en Europe (en première partie d'Asaf Avidan) en profitant pour affûter un talent vocal renversant et l'usage précautionneux d'un charisme timide à l'avenant. Mais aussi d'une sincérité et d'une volonté de fer – et de faire – indémêlable. Beaucoup sont sans doute passés entre les rayons de ce talent simple et lumineux – et c'est bien normal, ce n'est qu'un début. Qu'il sache qu'il en va de Joe Bel comme de la lumière : à son contact, à celui de sa musique, addictif, on peut guérir de n'importe quel coup de grisaille.
Joe Bel, vendredi 25 Juillet à 19h, au kiosque
Appât de Lou
L'an dernier, le Cabaret frappé nous avait déjà servi sur un plateau une de ces irrésistibles brunes au regard noir dont on ne se remet jamais vraiment : Riff Cohen. Le festival remet ça cette année avec Lou Marco. Dans un tout autre genre toutefois. Ou alors un qui aurait justement l'élégance d'être inclassable. La musique de Lou Marco a quelque chose d'à peu près aussi flippant que la musique d'un film de Carpenter pendant une scène de brume, d'aussi touchant que les éructations d'une jeune fille en colère et d'aussi hypnotique que les mantras d'une jeune fille, la même donc, qui a des serpents dans la tête et des hoquets dans la voix. Maintenant que Lou Marco, disciple de Mirwaïs et de feu-Nikola Acin (critique rock et musicien), a sorti Sous la peau, on peut essayer d'aller voir ce qui s'y trouve. En attendant, on peut essayer le mystère de la brune Lou sur la scène du Cabaret.
Lou Marco, vendredi 25 juillet à 21h, sous le chapiteau
Le Cabaret frappé, du lundi 21 au samedi 26 juillet, au Jardin de ville de Grenoble
Retrouvez dans nos archives une interview du groupe Frànçois & the Atlas Mountains (le jeudi 24 juillet à 21h sous le chapiteau) ainsi qu'un zoom sur la soirée gratuite du samedi.