Enemy

Enemy
De Denis Villeneuve (Can-Esp, 1h30) avec Jake Gyllenhaal, Mélanie Laurent…

Tournée dans la foulée de "Prisoners" avec le même Jake Gyllenhaal, cette adaptation de José Saramago par Denis Villeneuve fascine et intrigue, même si sa mise en scène atmosphérique se confond avec une lenteur appuyée. Christophe Chabert

Coïncidence des sorties : à quelques jours d’intervalle, deux films s’attaquent au thème du double. Celui de Richard Aoyade transpose Dostoïevski dans un quotidien gris et bureaucratique ; Denis Villeneuve s’est lui inspiré de L’Autre comme moi de José Saramago pour prolonger sa collaboration avec Jake Gyllenhaal, entamée avec le brillant Prisoners. Villeneuve est peut-être encore plus abstrait qu'Aoyade dans son traitement d’une ville déshumanisée, réduite à une salle de fac et à quelques appartements anonymement coincés dans des barres d’immeuble rappelant la Défense filmée par Blier dans Buffet froid.

Monde glacial dans lequel Adam répète sans cesse la même routine : il donne un cours, rentre chez lui, reçoit un coup de fil de sa mère (Isabella Rossellini), puis sa copine lui rend visite (Mélanie Laurent), ils font l’amour, elle rentre chez elle et il finit sa nuit seul. Routine brisée après une discussion anodine avec un de ses collègues, qui le conduit à louer dans un vidéoclub une comédie « locale » où un homme lui ressemblant trait pour trait interprète une silhouette de groom. Il part sur ses traces et découvre que cet Anthony est un acteur dans la dèche qui vit avec sa femme très enceinte. Rien ne les distingue physiquement, mais autant Anthony est sûr de lui, autant Adam semble rongé par une angoisse accentuée par la rencontre avec cet "autre".

Une araignée au plafond

Si l’on cherche à suivre le récit d’Enemy comme une mécanique logique, il y a fort à parier qu’on en sortira sans y avoir rien pigé du tout. Villeneuve demande au spectateur de se situer dans une autre dimension, celle d’un film à "clé", ledit ustensile jouant un rôle essentiel dans son labyrinthe. La scène d’ouverture agit ainsi comme libération d’un fantasme qui va se déplier ensuite, tissant une toile (l’araignée est l’autre grand motif du film) qui ne sera complète qu’à la toute dernière image, stupéfiante. Les interprétations sont alors légions : peur panique de la femme sous toutes ses formes – mère, amante, génitrice ? Aliénation psychologique d’un homme qui, à force de jouer des rôles, ne sait plus qui il est ?

Le film ne cesse de brouiller les cartes et d’alterner les points de vue entre Adam et Anthony, tout en affichant un contrôle maniaque de la mise en scène. C’est sa limite : à trop vouloir créer des atmosphères inquiétantes, Villeneuve sacrifie le rythme de son œuvre sur l’autel d’une lenteur pléonastique. Et reste loin derrière deux films modèles traitant du double : Le Locataire de Polanski et surtout Lost Highway de David Lynch.

Enemy
De Denis Villeneuve (Can-Esp-Fr, 1h30) avec Jake Gyllenhaal, Mélanie Laurent, Sarah Gadon…

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