Capital humain

Le capital et son singe

MC2

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Porter sur scène "Le Capital", l'une des œuvres les plus importantes de la pensée économique, pouvait s'apparenter à une gageure. Mais entre les mains du collectif de Sylvain Creuzevault, les idées de Karl Marx servent de bases solides à un véritable jeu théâtral avec l'histoire. L'un des spectacles de la saison. Aurélien Martinez

C'était en 2009. Le collectif D'ores et déjà, mené par le metteur en scène Sylvain Creuzevault, livrait l'une des propositions théâtrales les plus passionnantes, exigeantes et abouties de ces dernières années : Notre terreur. Soit, suite à la Révolution française de 1789, les derniers mois de Robespierre au sein du Comité de salut public. Sur scène, autour d'une grande table, une dizaine de comédiens campaient les figures de l'époque (Robespierre, Barère, Carnot, Saint-Just…), matérialisant ainsi leurs combats, leurs discussions interminables, leurs emportements, leurs rivalités. Le tout autour d'un texte non figé construit à partir d'improvisations menées en amont au plateau. Une véritable claque – on avait même titré, en une du Petit Bulletin, avec un frondeur « ça c'est du théâtre ».

On attendait donc avec impatience leur nouvelle création autour du Capital de Karl Marx, « certainement le plus redoutable missile qui ait été lancé à la tête des bourgeois » dixit l'auteur allemand du XIXe siècle, visiblement très satisfait de son ouvrage – il y a de quoi, tant de nombreux économistes s’en réclament encore 150 ans après sa publication. On n’a pas été déçus, même si…

Il était une fois la Révolution

Créée en mars à Angers et fruit d'un travail de plusieurs années, la première version de ce Capital et son singe était d'un didactisme pesant, Sylvain Creuzevault ayant visiblement eu du mal à faire théâtre avec un matériau si riche. La scission au sein du collectif, survenue à quelques jours de la première (quelques comédiens ont quitté l’aventure, dont Samuel Achache, qu'on avait vu la saison passée à la MC2 en metteur en scène du Crocodile trompeur), a dû fortement influencer le résultat. Mais la nouvelle version présentée cet automne, après une importante phase de recréation menée cet été, confirme le talent de Creuzevault et sa capacité à finalement faire théâtre avec des sujets pas forcément très faciles et rock’n’roll.

Pour Le Capital, il a élargi son postulat de départ et s'est concentré sur 1848, année d'émergence de la très courte Deuxième République française à laquelle Marx fit souvent référence, donnant au spectacle des allures de prolongement de Notre terreur. Surtout que la forme est la même : une grande table avec autour les comédiens, et un public placé en bi-frontal. Après un impressionnant prologue, les premières scènes rappellent donc les échanges intenses et captivants de Notre terreur, nourris comme toujours par un solide bagage historique. Même si, cette fois, le propos est moins limpide – 1848 n'est pas 1789, les enjeux de cette deuxième révolution du XIXe siècle (après 1830) demandant de nombreuses références.

Les comédiens campent Blanqui, Barbès et autre Raspail, membres du club des Amis du peuple opposés au gouvernement provisoire issu de la nouvelle assemblée constituante élue, et jouent une histoire en train de s'écrire avec un sens du théâtre remarquable. Marx (symbolisé sur scène par un masque rouge) et ses idées étant évoqués en filigrane, au détour d'une réflexion ou lors de débats plus profonds – comme un autour de la valeur d'usage et la valeur d’échange.

Rire avec l’histoire

La création se met alors progressivement en place, la méthode D'ores et déjà fonctionnant toujours (même si Creuzevault a rebaptisé son collectif Le Singe). Le summum étant atteint dans la longue séquence finale, qui intervient après un curieux détour par le Berlin de 1919 – détour qui était absent de la première version du spectacle, et qui pourrait bien disparaître à nouveau (rien n’est jamais figé avec Creuzevault) tant il s'articulait mal avec l'ensemble lorsque nous avons revu la pièce à Paris en octobre. Cette séquence finale permet alors à certains des comédiens (principalement les historiques du collectif, et que des hommes – les comédiennes sont presque inutiles sur scène, ce qui est cyniquement raccord avec le monde très masculin de l’époque) de créer à partir des figures historiques qu’ils incarnent de véritables personnages de théâtre. Comme l'excellent Léo-Antonin Lutinier, qui fait du chimiste Daniel Borme, accusé en 1849 comme ses camarades « d’avoir commis un attentat ayant pour but de détruire ou changer de gouvernement », un pitre naïf jouant avec les nerfs du tribunal et provoquant du coup l'hilarité des spectateurs.

À la sortie de la représentation, qui dure environ 2h30, et malgré les faiblesses criantes évoquées plus haut, on ressort avec une foi énorme en ce théâtre intelligent et vivant, ouvert sur le monde qui l’entoure même s’il parle de périodes historiques plus très récentes. Un théâtre capable de donner du plaisir au spectateur tout en le surprenant. Oui, vraiment, ça, c’est du théâtre !

Le Capital et son singe, du mercredi 26 au samedi 29 novembre, à la MC2

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