Les saisons se suivent et ne se ressemblent pas : de janvier à juin, c'est le retour des super auteurs du cinéma américain avec des films qu'on dira, par euphémisme, excitants. À l'ombre de ces mastodontes vrombissants, une poignée de cinéastes d'ici devraient leur donner le change.Christophe Chabert
Les Wachowski, Clint Eastwood, Alejandro Gonzalez Iñarritu, Paul Thomas Anderson, Michael Mann, Tim Burton, George Miller, à qui on ajouterait bien James Wan et Josh Whedon : le premier semestre 2015 se pose en miroir inversé du dernier semestre 2014. Fini le renouvellement générationnel, les cinéastes du monde entier qui arrivent à une forme de maturité créative, les francs-tireurs décidés à faire trembler le cinoche mainstream ou son frère jumeau, le world cinéma... Certes, il y en aura quelques-uns d'ici à fin mai ; mais ce sont bien les super-auteurs américains qui risquent de faire la pluie et le beau temps sur l'actualité cinématographique d'ici là.
Après un mois de janvier en forme de tour de chauffe, ce sont donc Larry et Lana Wachowski qui ouvrent le bal avec leur Jupiter ascending le 4 février – que son distributeur français a, de manière particulièrement débile, rebaptisé Jupiter : le destin de l'univers. Après la fresque spatio-temporelle de Cloud Atlas, génial puzzle d'une ambition folle, les Wachowski s'envoient en l'air pour un space opera fortement féministe avec Mila Kunis et Channing Tatum. On prend !
Deux semaines plus tard, c'est le géant Clint Eastwood qui régale avec American Sniper. Certes, Jersey boys était sans doute son film le plus raté depuis Créance de sang... Mais là, il a un matériau en or (le trauma d'un sniper durant la guerre en Irak une fois revenu aux États-Unis) et le très in Bradley Cooper au casting.
Le 25 février, Alejandro Gonzalez Iãrritu, dont on est très loin d'être fan ici, devrait faire forte impression avec Birdman, ou Michael Keaton interprète un acteur autrefois star de blockbuster qui tente de relancer sa carrière en tenant un rôle sérieux à Broadway. Le film est quasiment tourné en un seul plan-séquence, le genre de défi que son chef-opérateur Emmanuel Lubezki aime relever – cf son boulot avec Malick et Cuarón, notamment sur Gravity.
Privé de désert
On ne mollit pas : une semaine plus tard, le grand Paul Thomas Anderson tente la première adaptation au cinéma d'un bouquin de l'immense et très secret Thomas Pynchon, Inherent vice, polar 70's pop et perché où Joaquin Phoenix joue un privé tellement décalé que le Philip Marlowe d'Altman passe presque pour un type normal. On trépignait à l'idée de son retour derrière une caméra ; ce sera chose faite le 18 mars puisque Michael Mann signera Hacker, cyber-thriller mondialisé starring Chris Hemsworth. Quant à Tim Burton, on désespérait de le voir sortir des ornières Disney et de sa propre caricature d'auteur à la signature graphique désormais consacrée ; bonne nouvelle, Big Eyes (25 mars) s'annonce comme son retour à un cinéma artisanal, plus proche d'Ed Wood ou de Big Fish. Avec, dans les deux rôles principaux, Christoph Waltz et Amy Adams, ce qui nous change de Johnny Depp et Helena Bonham-Carter.
Enfin, un dernier pour la route (furieuse) : le reboot de Mad Max (14 mai) par celui qui en fut à l'origine, George Miller lui-même, sans Mel Gibson mais avec Tom Hardy (et Charlize Theron). Les bandes-annonces qui ont tourné sur internet ont rendu hystériques les trois-quarts des cinéphiles mondiaux ; il est vrai que dans le genre explosif, on peut difficilement faire mieux.
On a annoncé deux outsiders dans cette liste de films-événements : d'abord James Wan qui, pour ses premiers pas dans le blockbuster après s'être fait un nom dans la série B d'horreur, de Saw à Conjuring et aux deux Insidious, récupère la franchise impérialiste Fast and furious, en promettant de lui donner de la chair (tournage en pellicule, acteurs faisant eux-mêmes les cascades) et une âme. À vérifier le 1er avril. Quant à Josh Whedon, après son incartade shakespearienne, il retourne à ses Avengers pour un deuxième volet, Age of ultron, promis à un carton planétaire lors de sa sortie le 29 avril.
France, terre d'exil
Face à cette "dream team" de super-héros Marvel, la France fait de la résistance en proposant son propre super-héros : Vincent. Bon, dis comme ça, c'est sûr, ça paraît déséquilibré... Mais Vincent n'a pas d'écailles (18 février), premier film écrit, réalisé et interprété par Thomas Salvador, montre bien comment un jeune homme découvre qu'une fois plongé dans l'eau, il possède une force surhumaine et des aptitudes de nageur à côté duquel Florent Manaudou a l'air de faire de la brasse en petit bassin.
Mais les meilleurs films français (pour l'instant) ont choisi de s'expatrier hors de notre beau pays (pourquoi on a écrit cette phrase ?) mais pas forcément pour l'exotisme. Ainsi, Loin des hommes (14 janvier) de David Oelhoffen adapte un texte d'Albert Camus se déroulant au début de la guerre d'Algérie dans les montagnes de l'Atlas. Viggo Mortensen y joue (en français et en arabe : performance !) un instituteur se liant d'amitié avec un paysan algérien accusé de meurtre (Réda Kateb, toujours fascinant). Du bon cinoche populaire, soigné, solide et humaniste.
Rien à voir avec le fabuleux dernier film de Quentin Dupieux, Réalité, qui s'impose comme le chef-d'œuvre d'un cinéaste qu'on adorait, et qu'on commence sérieusement à admirer. Ici, il propulse Alain Chabat dans un labyrinthe irracontable (ça tombe bien, il ne faut pas trop le raconter) qui transforme Los Angeles en un espace mental où chaque personnage est à la fois lui-même et un autre, comme pris dans un film dont on dupliquerait sans cesse la VHS en recollant de manière différente la bande. Vous ne pigez pas ? Eh bien attendez le 28 février pour vous prendre une des claques de l'année, dont vous ne sortirez pas indemne !