Avec "Celui qui tombe", Yoann Bourgeois a créé un impressionnant et vertigineux spectacle sur le déséquilibre dans lequel l'être humain se retrouve tout petit face aux éléments. Rencontre avec un artiste de cirque qui défend un certain retour à l'essentiel.
Un immense plateau, lourd et bruyant (il est truffé de micro), descend du plafond, tenu par quatre grosses chaînes. Il s'arrête. Penche dangereusement. Se redresse. Tournoie... Dessus, trois femmes et trois hommes tentent tant bien que mal de garder l'équilibre. Celui qui tombe, la nouvelle proposition du circassien Yoann Bourgeois, fait dans le spectaculaire pour paradoxalement retrouver une certaine sobriété comme il nous l'explique. « La consigne de base donnée aux interprètes était : essayer de tenir. Je voulais voir ce qu'il se passe quand le sol est penché, quand il se balance, quand il est en équilibre, quand il tourne... J'ai juste réintégré les grands principes mécaniques du cirque. Ce n'est pas très original ; c'est même tout l'inverse. »
Un besoin de simplicité qui aurait pu être parasité par ce monstre scénographique arrivé plus tard dans le processus de création (ils ont d'abord travaillé sur de multiples petits plateaux). « Non, je n'ai pas eu peur de ça. J'ai plutôt eu peur de retomber dans un travers que connaît le cirque, à savoir exploiter tous les possibles. Je voulais comme aller à l'essentiel. » Soit des humains en danger perpétuel. « La somme du poids des interprètes est beaucoup moins lourde que le poids du plateau. Je voulais donner une représentation de l'homme qui ne soit pas tout puissant, qui ne soit pas au centre de la scène comme j'imagine qu'il n'est pas au centre de l'univers. C'est peut-être pour ça que je travaille avec des éléments plus grands que nous. »
Un danger qui sera l'apothéose de l'aventure, lorsque la machine s'emballera, pouvant à tout moment véritablement écraser les corps. « Le risque est un outil pour la présence. Ça branche les interprètes avec ici et maintenant. Ils n'ont pas le droit de se projeter, de se regarder... Pas le droit de tomber, sinon ça serait terrible. Ils doivent être avec ce qu'ils font. Pour moi, c'est très intéressant d'un point de vue théâtral. »
« Un projet de moins »
Dévoilée en septembre dernier lors de la Biennale de la danse de Lyon (même si une avant-première avait eu lieu à la MC2), la nouvelle création de Yoann Bourgeois tranche de prime abord avec les précédentes qui ont fait son succès – l'écriture bondissante de Cavale, avec son trampoline, ou encore la légèreté de L'Art de la fugue, construite autour de l'œuvre du même nom de Bach, basée sur la notion de contrepoint. « Je ne voulais pas faire un projet de plus, mais plutôt un projet de moins. Je suis dans un processus de simplification, en retirant tout ce qui n'est pas nécessaire pour revenir à l'essence même de ce qui m'intéresse. »
Un projet qui, selon lui, s'inscrit pourtant dans la suite logique de son parcours. « J'approfondis quelque chose d'un spectacle à un autre. J'essaie de développer une théâtralité particulière que je définirais comme polysémique ou poétique. Et mon angle d'attaque, ce sont les rapports de force : se brancher très concrètement avec des contraintes physiques pour faire émerger le sens. Mais un sens particulier, comme pas fini. Un sens qui apparaît. C'est ça qui me plaît : l'apparition de la fiction et du sens. » Une démarche qui laisse donc le spectateur libre de tisser les liens qu'il souhaite, Yoann Bourgeois refusant de « rentrer dans une dimension de personnage ». Sur le plateau, on est ainsi simplement face à une « humanité minimale ».
Une vie « vouée à l'art vivant »
C'est la première fois que Yoann Bourgeois travaille avec autant de monde, lui qui était notamment habitué aux duos. « Après L'Art de la fugue, je me suis trouvé assez clair avec mes problématiques pour pouvoir les partager avec d'autres. » Et avec des spectateurs toujours plus nombreux depuis que ce diplômé du Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne, passé aussi par la danse (il a fréquenté le Centre national de danse contemporaine d'Angers puis a travaillé avec la chorégraphe Maguy Marin), a créé sa compagnie à Grenoble il y a cinq ans.
Il a aujourd'hui « mille projets en tête », qui ne se dérouleront pas que dans des théâtres – il explique adorer multiplier les expériences originales. Au-delà de sa participation à la prochaine biennale de la danse, il va ainsi concevoir un cabaret avec des artistes de cirque pour une scène du prochain film d'Anne Fassio (Une vie après l'autre, avec Fanny Ardant et Gérard Depardieu), ou encore carrément imaginer en 2017 une scénographie pour le prestigieux Panthéon (il a été contacté par le centre des monuments nationaux). « Ces nombreux projets, aux formes variées, expriment l'incessant désir d'embrasser et d'expérimenter le vivant sous ses multiples faces... Sa vie est vouée à l'art vivant » comme il est écrit sur son site internet, et comme il nous l'a aussi déclaré en interview. OK.
Celui qui tombe, jusqu'au samedi 17 janvier, à la MC2