Christine and the Queens : « Ce succès raconte une histoire assez jolie sur le statut de la pop en France »

Christine and the Queens - COMPLET

La Belle Électrique

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

En quelques mois, la pop glacée de Christine and the Queens s’est imposée comme la tendance musicale incontournable du moment, que l’on se doit d’aimer sous peine de passer pour un ringard. Pourtant, derrière le phénomène médiatique un brin envahissant, se cache une artiste passionnante qui n’avait pas forcément imaginé arriver si vite si haut. Avant son passage (à guichets fermés) par la Belle électrique, on a passé un coup de fil à Christine histoire d’en savoir un peu plus.

Déjà 250 000 ventes pour Chaleur humaine, une tournée dont de nombreuses dates affichent complet, deux Victoires de la musique il y a quelques semaines (dont celle de l’interprète féminine de l’année)… Comment gère-t-on un succès si soudain pour un premier album sorti il y a seulement neuf mois ?

Christine and the Queens : C’est à la fois flippant, excitant et émouvant – c’est le triptyque qui décrit bien la chose. Surtout que je ne m’attendais pas à ça avec cet album, ces références et mon personnage. Donc c’est encourageant, même si bien sûr je pense à tous ces artistes qui ont beaucoup de talent mais qui n’ont pas le quart de l’exposition médiatique que j’ai.

Pourtant, sur le papier,  le projet Christine and the Queens n’était pas forcément calibré pour le succès…

Je n’étais pas sûre que l’album résonne auprès d’un public français parce que mes références ne sont pas que françaises, parce que je travaille le français comme une langue un peu étrange, parce que je n’avais pas réfléchi les chansons en format radio avec un single précis. Honnêtement, je n’avais pas d’attente particulière sur sa réception même si j’avais pu rêver à des disques d’or dans le studio quand j’étais fatiguée, mais pendant quelques secondes seulement ! En même temps, ce succès raconte une histoire assez jolie sur le statut de la pop en France, sur une nouvelle scène fantaisiste qui reprend la langue française pour faire de la pop de façon assez décomplexée.

Vous avez suivi des études de théâtre, d’où le côté très scénographié de votre musique…

La musique est arrivée comme un accident il y a quatre ans dans ma vie. Avant ça, j’étais clairement intéressée par le théâtre, je voulais faire de la mise en scène. J’étais à Normale sup’ à Lyon en théâtre, ainsi qu’au conservatoire. J’étais vraiment persuadée que ça serait mon parcours. Alors quand la musique est arrivée, j’ai eu des réflexes d’apprenti metteur en scène. Ça me plaisait de développer l’univers visuel – d’ailleurs j’ai eu tout de suite un personnage, ce n’est pas anodin. J’aime cette idée de transversalité, que tous les arts discutent entre eux. Je ne pourrai jamais me pointer juste avec une chanson et ma voix.

D’où la volonté d’avoir un nom de scène, choisi à Londres…

Oui. Suite à des années difficiles à Lyon, j’ai eu besoin de partir de France, d’aller prendre des vacances… C’est à Londres que tout a commencé : une rencontre très importante pour moi avec des performers anglais travestis qui avaient une façon très décomplexée d’exister. Sans cette rencontre-là, je n’aurais sans doute jamais commencé à chanter.

Ce sont eux les Queens de Christine and the Queens ?

Oui, même s’ils n’ont jamais été avec moi sur scène. Je voulais les emmener pour faire un groupe, mais ils ont décliné la proposition. Ce qui ne m’a pas empêchée de les garder dans le nom.

Christine and the Queens semble être une réflexion pop sur les questions de genre…

Le personnage de Christine, c’est ça. Ça vient des frustrations que j’avais jeune fille et d’une envie de réfléchir sur le genre. D’ailleurs, c’est pour ça que Christine est toujours en costume : j’avais envie de réfléchir aussi à une façon d’exister en tant que chanteuse qui ne soit pas forcément sexuelle, sensuelle ou très féminine. Je voulais un personnage différent, une petite énergie neutre qui soit désirante au lieu d’être désirée elle-même.

Pourtant, les textes de vos chansons ne sont pas des manifestes…

Il y a des façons très différentes de s’engager. Je pense que le personnage se suffit en lui-même. Si je voulais m’engager très concrètement, je serais entrain d’écrire des textes théoriques ou de militer. Et puis on peut faire beaucoup avec le divertissement, l’art et la musique pop, en posant des questions, en faisant exister une énergie particulière. Le fait que j’arrive sur des shootings de magazine et que je ne porte pas de robe, c’est déjà quelque chose.

Vous définissez-vous comme une artiste queer ?

Oui, clairement. D’ailleurs, c’est un terme plus adéquat qu’androgyne qu’on me colle parfois. Mes influences sont queers, elles vont de David Bowie à Klaus Nomi en passant, pour la littérature, par Genet, Lautréamont… Quand on écrit des chansons, on le fait avec ce que l’on a vécu, lu et ressenti… Après, je ne sais pas si, quand on écoute ma musique, on se dit : ah, elle a lu Judith Butler [une philosophe américaine pionnière dans les études de genre – NDLR] !

Musicalement, vous semblez n’avoir aucune frontière en tissant par exemple des ponts entre la chanson française et la pop américaine. Comme quand, dans une reprise, vous mélangez Les Paradis perdus de Christophe au Heartless de Kanye West…

C’est venu naturellement, je ne l’ai pas intellectualisé en amont. De la même façon que l’on trouve un personnage avec ce que l’on a lu, on écrit avec ce que l’on a entendu. Et moi, j’ai beaucoup écouté du Kanye West et de musique classique, ce qui n’est pas incompatible. Très spontanément, quand je me suis mise à écrire des chansons, ça a donné des objets un peu hybrides… C’est d’ailleurs un phénomène assez générationnel qui s’amplifie : Rihanna fait des featurings avec Paul McCartney ! Avec internet et toutes les informations que l’on a, j’ai l’impression qu’aujourd’hui, même la musique "mainstream" devient hybride comme les références des jeunes sont très hybrides aussi.

Ce côté hybride se retrouve également dans vos textes, qui mélangent français et anglais…

C’est un travail dans l’écriture qui m’intéressait, comme ça permet de vraies ruptures, de différencier le refrain d’un couplet sans avoir forcément à tomber dans des types d’écriture musicale, de faire sonner sa voix différemment… Je suis intéressée par l’idée de contrastes, ce côté "franglais" m’allait parfaitement.

Comment voyez-vous la suite ? Continuer avec Christine and the Queens ou reprendre votre nom – Héloïse Letissier ?

Je ne reprendrai jamais mon nom ! J’ai justement pris un autre prénom pour ne jamais reprendre le mien. Pour la suite, ce sera soit Christine soit un autre prénom ; mais je trouve que Christine me va très bien.

Vous voyez-vous composer pour d’autres ?

La question s’est posée. C’est un exercice quand même très différent, et je ne sais pas si je suis vraiment faite pour ça. Mais je n’ai sans doute pas encore fait la rencontre qui me prouvera le contraire.

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