Laurent Pelly : « Perdre le spectateur dans une image »

L'oiseau vert

MC2

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

La légende raconte qu’un jour, dans la bibliothèque du Cargo (le nom de la MC2 au siècle dernier, avant les travaux), le metteur en scène Laurent Pelly tomba par hasard sur la pièce L’Oiseau vert de Carlo Gozzi. Coup de foudre immédiat pour cet auteur italien du XVIIIe siècle aujourd’hui oublié, l’histoire ayant plutôt retenu son rival Carlo Goldoni. Pelly trouva pourtant dans ce texte une matière propice à déployer son univers théâtral grandiose – il est question de princes qui s’ignorent, de tentative de mariage entre un père et sa fille et, forcément, d’un animal étrange. Laurent Pelly : « L’œuvre de Gozzi ne ressemble à aucune autre. Son théâtre est joyeux, burlesque, violent, extrêmement poétique… »

Pourtant, à l’époque, alors qu’il était au Centre national des Alpes, il n’a jamais touché à la pièce. C’est chose faite aujourd’hui, puisqu’il l’a mise en scène il y a quelques mois au Théâtre national de Toulouse qu’il dirige depuis 2008 avec la dramaturge et metteuse en scène Agathe Mélinand. Et, pour le clin d’œil, c’est avec L’Oiseau vert qu’il revient pour la première dans la ville qui l’a vu grandir artistiquement. « Je n’ai pas remis les pieds à Grenoble depuis 2008. Sans doute le temps nécessaire… » Sept ans d’absence, c’est long ; surtout que l’histoire d’amour entre Pelly et les spectateurs grenoblois a été forte, presque fusionnelle.

« Une aventure très riche »

Flash-back : Laurent Pelly créé sa compagnie Le Pélican en 1980, en région parisienne. Alors que la sauce prend progressivement et que le nom Pelly devient de plus en plus fameux, Roger Caracache, à l'époque directeur du Cargo, le nomme en 1994 metteur en scène associé au Centre national dramatique des Alpes (CDNA). Pelly deviendra ensuite directeur du CDNA à la demande du ministère de la culture, sans pour autant prendre la direction du Cargo.

Après onze ans, dont six hors les murs pour cause de travaux, Pelly s’en va et est remplacé par Jacques Osinski. « Ça a été une longue aventure, très riche. On a pu monter des spectacles en grand format sur le plateau du Cargo dès l’arrivée à Grenoble, ce qui a été formidable. »

Ces quatorze ans de présence grenobloise auront été intenses, avec une quinzaine de créations flamboyantes portant la patte Pelly. Une patte on ne peut plus visuelle : on se souvient de l’ouverture vertigineuse du Songe de Strindberg où la comédienne Audrey Fleurot semblait voler devant le rideau ; du décor immense du Foi, amour, espérance d’Ödön von Horváth ; de la pluie de cartes à jouer d’Alice au pays des merveilles… « Quand on travaille sur des plateaux de cette dimension, c’est indispensable selon moi de perdre le spectateur dans une image. J’aime bien, quand le spectacle démarre, ne plus savoir où est la réalité concrète, géographique. D’ailleurs, L’Oiseau vert nécessite cette rêverie, cette poésie de l’image. »

Un goût du monumental qui va de pair avec l’envie de porter un théâtre généreux, centré sur le plaisir. « Bien sûr que le théâtre est avant tout du plaisir, je ne vois pas pourquoi il en serait autrement. » Et qu’il exprime aussi dans ses mises en scène monumentales d’opéra, forme de spectacle vivant à laquelle il a commencé à se frotter à Grenoble avec Marc Minkowski des Musiciens du Louvre – même si les créations ont eu lieu dans d’autres villes, logistique oblige.

« J’ai été un peu triste »

Parti en 2008 à Toulouse, Pelly a continué à défendre « l’idée d’un théâtre accessible et plutôt populaire », en choisissant notamment des auteurs "bankables" du répertoire mais en se concentrant sur leurs pièces les moins connues – Mangeront-ils ? et Mille francs de récompense de Victor Hugo ; Le Menteur de Carlo Goldoni… « Je ne me confronterai jamais au Misanthrope ou à La Mouette qui sont des pièces beaucoup montées, voire trop. »

Bien sûr, depuis Toulouse, il a continué à suivre l’actualité théâtrale grenobloise d’un œil, et notamment les mésaventures du CDNA dont la disparition a été annoncée en 2013, la structure ayant fusionné depuis avec la MC2. « Ça a été étrange pour moi… J’ai été un peu triste, évidemment. En même temps, au moment où l’on est partis avec Agathe, la situation n’était plus vivable. C’était ou le centre dramatique prenait de l’importance, en devenant responsable de la programmation théâtrale de la maison [ce qui est le cas dans tous les autre centres dramatiques nationaux de France – NDLR], ou il se passait ce qu’il s’est passé. »

Aujourd’hui, il se dit « très heureux » à Toulouse, menant « de nombreux projets ». Même s’il doit faire face à des baisses de subventions municipales, comme dans malheureusement beaucoup d’autres villes en France. Mais ça c’est une autre histoire.

L’Oiseau vert, du mardi 5 au samedi 9 mai, à la MC2

Critique de la pièce au lendemain de la première sur www.petit-bulletin.fr

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