Guy Tosatto : « Un musée existe par sa collection »

De Picasso à Warhol, une décennie d'acquisitions

Musée de Grenoble

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Rencontre avec Guy Tosatto, directeur du musée, pour en savoir plus sur l’objectif d'une collection à l'occasion de l'exposition "De Picasso à Warhol - Une décennie d'acquisitions".

À quoi sert une collection ?

Elle sert à donner des repères, c’est constitutif d'un musée. C’est-à-dire qu’un musée n’existe que par sa collection. D’ailleurs, à l’origine, ils ont été créés pour abriter des ensembles d’œuvres à la suite de la Révolution française. On a eu cette chance à Grenoble d'avoir un conservateur au début du XXe siècle qui a ouvert la collection à l’art moderne, ça a été le premier en France : Andry-Farcy. Tous ses successeurs ont emboîté le pas en partant de l’existant. C’est cette matière qui va vous guider. Par ailleurs, une collection, c’est aussi ce qui reste après une exposition temporaire, c’est l’élément stable. C'est à partir de cette collection qu’on peut faire un vrai travail dans le temps auprès de nos publics pour les initier aux formes artistiques, que ça soit l’art ancien ou moderne parce que les œuvres sont là et qu’ils peuvent les retrouver.

Une collection ne doit donc pas s'arrêter...

Effectivement, une collection doit être en mouvement, il faut qu’elle s’enrichisse en permanence d’où la nécessité des acquisitions, d’essayer d'avoir des dons, de continuer à l’élargir la partie de la collection consacrée à l’art moderne et contemporain, d’ouvrir aux nouveaux mouvements. Les derniers apports permettent également de repenser l'ensemble en permanence, d’enrichir le regard, de changer de point de vue. C’est pour moi quelque chose de très important : une collection ne doit absolument pas être arrêtée dans le temps, c’est vraiment une matière vivante. C’est le travail qui nous revient dans les musées. On ne construit pas seulement un patrimoine matériel mais aussi un patrimoine immatériel. Une grande collection dans une ville comme Grenoble participe, je crois, de la construction de l’identité commune des gens qui y vivent.

Comment se constitue une collection ? Pourquoi telle œuvre et pas une autre ?

Il y a plusieurs notions qui articulent la politique d’acquisitions. Premièrement : les lacunes. Par exemple, la collection XXe est formidable mais, comme toute collection, il y a des manques. Certains sont plus ou moins criants mais d’autres sont rattrapables. Quand on reste dans le registre du possible, si on peut arriver à combler certains manques, il ne faut pas hésiter à déployer toute son énergie. C’est ce qui nous a amenés à acquérir l’œuvre de Warhol, qui est à mes yeux l’un des plus grands artistes de la fin du XXe siècle. Il était absent des collections et il y a avait encore des possibilités de trouver des œuvres accessibles d’un point de vue financier. Je peux dire la même chose de Robert Ryman, qui remplit deux critères de la politique d’acquisitions : d’abord combler une lacune, mais aussi compléter un ensemble – celui d'art minimal.

À qui et où achetez-vous les œuvres ?

Il y a toutes sortes de sources : les galeries d’art, dont c’est le métier, mais aussi les artistes. Nous travaillons beaucoup avec des artistes vivants, ça permet souvent, et surtout quand on organise une exposition, de négocier le prix. C’est un peu trivial mais c’est la réalité. Plus rarement, on participe à des ventes aux enchères, ça nous est arrivé à deux reprises. On s'adresse aussi directement à des collectionneurs. Enfin, il y a les dons d’artistes, de collectionneurs, de marchands. Puis nous avons des aides comme l’association des amis du musée dont l’une des missions est d'enrichir ses collections. Régulièrement elle donne des œuvres. Et depuis 2010, le club des mécènes, qui réunit cinq entreprises, verse chaque année une somme d’argent pour aider le musée à acquérir des œuvres.

Quand on voit le prix du Picasso acquis par le musée, c’est vrai que ça peut faire sursauter mais Picasso ce n’est pas n’importe qui, ce n’est pas seulement juste une signature.

Quel est le budget alloué pour les acquisitions à l’année ?

Ça a évolué dans le temps. Cette année, on avait environ 450 000 – 470 000 euros. La Ville de Grenoble, qui est un peu le principal financeur du musée, a toujours été très engagée dans le domaine des acquisitions. L’État et la région Rhône-Alpes versent également une subvention dans une enveloppe commune qui s’appelle le Fonds régional d'acquisition pour les musées.

Quelle est l’œuvre la plus chère acquise ? La moins chère ?

La plus chère a été le Picasso présenté dans l'exposition, acquise grâce au club des mécènes. Un financement aux deux tiers privés et un tiers de la Ville de Grenoble. On a bénéficié de financements exceptionnels car l’œuvre, achetée 750 000 euros, a été classée par la commission des Trésors Nationaux « œuvre d’importance patrimoniale majeure », sorte de label qui donne une plus grande défiscalisation aux mécènes sur les sommes qu’ils versent. Et la moins chère, je pense que c’est l’esquisse de Bonnard acquise pour 4000 ou 5000 euros.

Est-il déjà arrivé que le musée soit obligé de renoncer à une œuvre par manque de moyens ?

Oui, c’est déjà arrivé et dans ce cas, c’est le désespoir, on pleure beaucoup (rires). Mais j’essaie toujours d’être dans le possible, de faire correspondre les possibilités du musée et les désirs que nous avons. Ce n’est pas toujours possible mais ce qui est formidable, c’est que parfois des choses qui paraissent impossible arrivent à se réaliser. Il y a quelques années, j’aurais rêvé d’acheter un collage cubiste de Picasso mais pour moi, c’était de l’ordre de l’impossible. Et puis Alain Mérieux, président du club des mécènes, m’a dit : « Écoutez, c’est bien vos acquisitions, vos propositions, mais faut faire des choses plus ambitieuses. Proposez quelque chose de beaucoup plus chère, essayer d’obtenir le label des Trésors Nationaux et nous, on vous suivra et on augmentera nos participations. » Ce qui a été fait et on a pu acheter cette œuvre, Verre de Pablo Picasso, que je n’aurais jamais imaginé pouvoir acquérir pour le musée. Quand on voit le prix, c’est vrai que ça peut faire sursauter mais Picasso ce n’est pas n’importe qui, ce n’est pas seulement juste une signature. C’est une œuvre d’une période extrêmement recherchée, il y a très peu d’œuvres disponibles aujourd’hui sur le marché. Et dans les collages cubistes, il est assez rare car il est épinglé – il y en a seulement une douzaine.

Y a-t-il un artiste que vous souhaiteriez faire rentrer dans la collection du musée mais qui est de l'ordre de l'impossible ?

Des artistes vivants ou décédés ! C’est drôle parce que ça me pose vraiment un problème comme je suis souvent dans une optique du réalisable, c’est une manière de ne pas souffrir. Mais si je devais choisir ça serait une grande installation de Bruce Nauman. On a acheté il y a quelques années une vidéo de cet artiste, pour moi c’était important parce qu’il n’y en avait pas dans les collections. Et depuis je me dis que ce serait bien d’avoir une sculpture de lui. Pour le coup, j’ai fait quelques recherches : d’abord c’est rarissime sur le marché, et puis les prix sont exorbitant. C’est un rêve que j’ai mis de côté.

Aujourd'hui, on essaye de faire rentrer dans nos collections les artistes que demain nos successeurs n’auront plus les moyens d’acheter et qui constitueront la base pour leurs propres acquisitions.

Des anecdotes particulières sur une acquisition ?

On a cette chance pour le moment, on va toucher du bois, de ne pas avoir eu trop de problème d’acquisitions au musée. Il y a plutôt eu des sortes de concours de circonstances. Par exemple, acheter un dessin d'Artaud, c’était vraiment pour moi une espèce de rêve très ancien parce que ce sont des pièces rarissimes, seulement 150 dessins. La plupart sont maintenant répertoriés au Musée d’art moderne à Paris. Rien sur le marché du coup, il faut vraiment arriver à être en contact avec un particulier pour obtenir une œuvre d'Artaud. Un beau jour, un collègue du Centre Pompidou m’appelle : « Écoute, on est en train d’acheter à un particulier un dessin d’Artaud qui vient compléter nos collections mais on n'a pas les moyens d’en acheter plus. Il en a un autre qui est vraiment très beau, je sais que ça t’intéresse, si tu veux, je te passe les coordonnées. » Et c’est arrivé comme ça, très facilement. Je suis allé voir l’œuvre qui était reproduite dans un catalogue du musée et j’ai pris contact tout de suite avec le collectionneur, un homme charmant, avec qui j’ai traité par correspondance. Puis je me suis dit que je ne pouvais pas quand même acheter cette œuvre sans le rencontrer. On s’est donné rendez-vous dans un café à Paris et j’étais très content de rencontrer ce monsieur, que je n’ai plus revu après (rire).

Est-ce que les acquisitions récentes sont toujours exposées lorsqu’elles arrivent dans la collection ?

Pas toujours. On les présente assez régulièrement dans l’espace Andry-Farcy, une salle un peu hors parcours de la collection permanente. Mais il y a des œuvres que, volontairement, je n’ai pas voulu exposer afin de les garder pour l'exposition actuelle, histoire d'avoir quelques inédits pour le public qui vient régulièrement au musée. Parce qu’évidemment, pour celui qui ne vient pas souvent, il y aura beaucoup d’inédits.

Dans l’exposition, il y a énormément d’acquisitions contemporaines. Pourquoi ?

C’est vraiment l’objectif du musée et ça depuis longtemps. Depuis les années 1920, les collections du musée sont tournées vers le présent et l’avenir. Aujourd’hui, le présent, c'est l'art contemporain et c’est ce qui constituera la mémoire des personnes qui viendront après nous. C’est ce qu’a fait Andry-Farcy en faisant rentrer Picasso, Matisse, et bien lui en a pris car aujourd’hui on n'aurait plus les moyens de le faire. On essaye, dans la même logique, de faire rentrer les artistes que demain nos successeurs n’auront plus les moyens d’acheter et qui constitueront la base pour leurs propres acquisitions.

De Picasso à Warhol - Une décennie d'acquisitions, jusqu'au lundi 31 août, au Musée de Grenoble

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