Youth

Youth
De Paolo Sorrentino (It-Fr-Gb, 1h58) avec Michael Caine, Harvey Keitel...

Deux artistes octogénaires tentent de soulager leurs multiples douleurs dans un hôtel de luxe grouillant de curistes aisés. Après sa réussite "La Grande Bellezza", Paolo Sorrentino s'embourbe en voulant à tout prix amener son film vers une séquence de fin grandiose. Qui, du coup, affadit dramatiquement l'ensemble. Vincent Raymond

Mick travaille sur un projet de film au milieu d’un aréopage de jeunes scénaristes, Fred a lui tiré un trait sur son métier de compositeur. Un émissaire de la Reine d’Angleterre lui fait miroiter un anoblissement. En contrepartie, Mick devra diriger un concert. Sa réponse ? Non.

À l’instar de Wes Anderson pour Grand Budapest Hotel, mais dans un style plus classique, Paolo Sorrentino se crée sa Montagne magique à lui. Un décor helvétique déréalisé, où les minutes ont suspendu leur inexorable course ; où tout est figé dans des rites immuables, fréquenté par une aristocratie désuète et anachronique… Si les personnages de Fred et Mick se détachent, préférant la solitude ou leurs moments de complicité, voire la compagnie d’un jeune acteur (Paul Dano), c’est que demeure en eux une flamme de vitalité s’exprimant en dépit des trahisons du corps : l’instinct de création. Tant que l’un peut continuer à "faire" de la musique (pour lui-même, à partir du son d’un papier de bonbon ou des clarines des vaches) et l’autre du cinéma, aucun des deux ne renoncera à la vie.

Youth pourrait s’arrêter ici ; on se satisferait alors d’une comédie douce-amère à la torpeur mesurée, pondérée par les sursauts drolatiques ou poétiques dont Sorrentino est coutumier. Las ! Son film a la mauvaise idée de durer 30 minutes de trop…

In coda venenum

En fait, Sorrentino paraît condamné à passer à côté de ses œuvres non-italiennes ou dans lesquelles il se prive du talent de son comédien fétiche Toni Servillo — cela, même quand il recrute comme ici deux Stradivarius tels que Michael Caine et Harvey Keitel. À mille lieues de ses récentes réussites que sont son portrait vitriolé de Andreotti (Il Divo) et sa fresque d’une Rome post-fellinienne (La Grande Bellezza), Youth souffre comme This must be the place d’une difficulté à s’accomplir, à trouver son issue — sa coda, plutôt, vu l’importance accordée à la musique.

La mélodie mélancolique que Sorrentino compose tire sa beauté fragile du fait qu’elle demeure souterraine. Or, il l’abîme en choisissant de supprimer toute trace d’implicite et de mystère chez ses personnages, dans la seule optique semble-t-il de pouvoir mettre en scène une séquence de fin moins grandiose que grandiloquente… Si cet appendice superfétatoire a dû lui procurer un immense contentement de chef d’orchestre, il noie l’ensemble de sa partition dans une pompe ridicule dont elle parvenait jusqu’alors à s’abstraire. Et convertit l’hypothèse sensible en sensiblerie banale.

Youth
De Paolo Sorrentino (It/Fr/Sui/G.-B, 1h58) avec Michael Caine, Harvey Keitel, Rachel Weisz, Paul Dano…

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