Autour de Lucie : le Rayon vert

ALINE + ROBI + AUTOUR DE LUCIE + SLY APPOLINAIRE + 49 SWIMMING POOLS

Parc des Lilattes

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

De retour onze ans après sa dernière sortie avec un album reconnaissable entre mille, Autour de Lucie, formation culte de la pop française 90's, fera sans doute figure de dinosaure au sein de la programmation plutôt juvénile du nouveau festival de Bourgoin-Jallieu baptisé Les Belles journées. Mais qu'on ne se méprenne pas : le groupe de Valérie Leulliot ne fait toujours pas son âge – qui est aussi celui de son public –, comme figé depuis la première note dans une sorte de jeunesse désuète sculptée pour l'éternité dans une lumière particulière. Stéphane Duchêne

« Cours, cours petite sœur et dans l'horizon ne cherche pas hier / Goûte, goûte les saisons / Comme si c'était les premières. » Voilà deux phrases, deux vers de Détache, qui résument parfaitement dans une forme de contradiction, comme toujours avec eux, le retour, 11 ans après, d'Autour de Lucie. La contradiction, spatio-temporelle, étant le cœur même de l'œuvre de ce groupe apparu en 1993.

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Pour les fans d'une certaine idée de la pop telle qu'on l'envisageait au milieu des années 1990, en plein âge d'or qui voyaient les labels Lithium et le Village Vert faire la pluie et le beau temps esthétique – et le plus souvent le beau temps avec beaucoup de pluie –, ce retour sous forme d'album après une reformation en 2012 est plus qu'une bonne nouvelle.

C'est un peu comme avoir le droit de croquer dans une nouvelle fournée de madeleine de pop. Avec l'espoir d'y retrouver un goût qui serait resté en bouche tout en aspirant y découvrir quelque nouvelle saveur rendue du moins inévitable par la prise du temps sur le groupe comme sur ses auditeurs. Avec l'idée que tout le monde a vieilli, mais qu'on pourrait tout aussi bien l'oublier le temps de quelques chansons malgré la tentation, grande, de regarder en arrière. Bien entendu, ce goût de nouveauté qu'on évoquait, on ne le rencontrera pas et c'est sans doute avant tout dans sa quête qu'il faudra trouver son bonheur. Car on si on ne retrouve pas tout à fait un amour perdu sans déception, on gagne toujours à le chercher.

Îlienne

C'est qu'il y a quelque chose, en 2015, d'infiniment désuet dans la musique d'Autour de Lucie, y compris dans ce dernier album Détache qui, comme Faux Mouvement (2000) ou l'album de remixes Vu par... (2001), se teinte pourtant d'électro – s'essayer à la danse et/ou à la transe, est-ce vraiment le meilleur moyen de faire contemporain aujourd'hui ? Vous avez quatre heures. Quelque chose donc en ce groupe qui, en dépit des vers précités, nous ramène sans cesse vers le passé et qui ne passe pas, même quand, un peu, il lasse. Autour du Lucie, c'est du Rohmer à guitares. C'est Le Genou de Valérie, Conte des quatre saisons, toutes en même temps, Le Rayon vert revu en Village.

C'est aussi la preuve, 22 ans après les débuts du groupe et 11 ans après son dernier album, éponyme comme pour boucler une boucle qui n'en était pas une, que le temps semble n'avoir aucune prise (parce qu'il l'a déjà pris) sur cette musique à la lumière particulière (ses guitares anglo-saxonnes perdues chez Sarah Records, ces rythmiques lasses qui ne demandent qu'à s'éveiller), sur cette voix aussi que l'on reconnaîtrait entre mille dès lors qu'on l'a entendue une fois.

C'est comme si tout tenait d'ailleurs à Valérie Leulliot dont l'album solo, Caldeira, sorti en 2007, aurait tout aussi bien pu, malgré les collaborations, avec Miossec notamment sur le beau Mon Homme Blessé, être un disque d'Autour de Lucie – avec simplement d'autres gens autour de Valérie. Leulliot, une « îlienne seule et immobile, sauvage et fragile » mue par une irrépressible contradiction dans les termes où il est toujours question quelque part d'une oscillation entre voyage et immobilité, présence et retrait, retour et départ (C'est là que je descends, sur Ta Lumière Particulière).

Tout cela s'entend depuis toujours, au-delà des mots donc, dans la voix de la jeune femme toujours au bord de l'évaporation, même en position d'attaque (comme, ici, sur le très rock Cheval étincelle), française jusque dans l'anglais peu usité (Cheval étincelle, toujours), veloutée pour mieux s'afficher revêche, courant vers l'avant en regardant derrière : « J'habite sur des sables mouvants / Je prends la vague et pourtant », chante-t-elle. Voilà Valérie et Lucie.

L'horizon

Sur la tombe de F. Scott Fitzgerald et son amour fou de Zelda, il est inscrit ces mots qui sont aussi les dernières lignes inoubliables de Gatby le magnifique : « So we beat on, boats against the current, borne back ceaselessly into the past » (« C'est ainsi que nous avançons, barques luttant contre un courant qui nous rejette sans cesse vers le passé. »)

C'est encore là un très bon résumé de la carrière d'Autour de Lucie, dont on ne saura jamais vraiment à l'image de celle deFitzgerald si elle a été ratée en dépit de ses fulgurances, ou gâchée au regard de son potentiel. Si elle est parvenue, là encore à l'image d'une célèbre évocation du roman de Fitzgerald, à toucher du doigt cette « lumière particulière », verte comme son label historique, comme Le Rayon de Rohmer, comme la lumière "gatsbienne" aperçue de l'autre côté de la rive ; si simplement elle en a eu ne serait-ce que l'intention, ne cherchant finalement dans l'horizon pas plus « hier » que demain.

La réponse de ce groupe que l'on écoute comme on relit à voix haute certaines phrases des grands livres est peut-être à chercher du côté de Rohmer et de son Rayon vert, justement. Il s'agit en réalité d'un phénomène atmosphérique : le tout dernier rayon du soleil, lançant pour solde de tout compte de la journée un éclair vert depuis l'horizon. Une moment fugace durant lequel, selon Rohmer, on pourrait « lire dans ses propres sentiments et dans les sentiments des autres ». Une « Lumière particulière » en somme, éclairant l'intime et dont Autour de Lucie semble posséder le secret.

Autour de Lucie, vendredi 11 septembre à 20h30 à Bourgoin-Jallieu, dans le cadre du festival Les Belles journées

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