"Une étoile pour Noël" : bonté pas si divine par Nasser Djemaï

Une étoile pour Noël, ou l'ignominie de la bonté

MC2

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Théâtre / Avec "Une étoile pour Noël", l’auteur, metteur en scène et comédien (oui, tout ça à la fois) Nasser Djemaï livre un seul-en-scène survolté et drôle au sous-texte percutant. Ou comment un gamin prénommé Nabil va accepter de s’appeler Noël pour se conformer aux désirs de certains adultes – et, plus largement, d’une partie de la société. Une recréation (le spectacle a vu le jour dix ans plus tôt) plus que bienvenue qui nous a donné envie d’en discuter avec son concepteur. Magnéto.

Une étoile pour Noël ou l’ignominie de la bonté : voilà qui est on ne peut plus clair. Nasser Djemaï ne masque pas le propos qui l’anime en l’affichant clairement dans le titre de son spectacle. Il nous l’explique, au lendemain de la première à la MC2 de la nouvelle version de cette pièce qui a vu le jour en 2005. « Le modèle dominant me fascine beaucoup. Toutes ces valeurs et tous ces codes qui se déversent sur nous en permanence : voilà comment il faut être, voilà comment il faut penser. Je trouve qu’il y a une vraie fracture avec une partie de la population qui ne se reconnaît pas dans ces valeurs plutôt bourgeoises, catholiques et blanches. »

Une étoile pour Noël, c’est en partie son histoire : celle d’un gamin que la grand-mère d’un de ses camarades de classe a décidé de prendre sous son aile pour l’élever, « pour en faire une personne modèle ». « C’est vraiment comment faire en sorte, avec la plus grande bonté et le plus grand amour sincère, que ce petit soit à l’abri de tout. C’est toute l’ambigüité de la bienveillance : comment on projette des choses par rapport à soi. »

Une étoile pour Noël, c’est surtout l’histoire de Nabil, gamin sans histoire mais aux hautes ambitions qui croisera sur son chemin divers visages d’une société peu reluisante malgré les sourires et les bons sentiments de ceux-là même qui « pensent avoir la vérité ».

« Énormément romancé »

Nabil, c’est joli comme prénom mais bon, comment réussir dans la vie avec ce handicap ? Alors que Noël, c’est tellement plus acceptable. Et ces cheveux, non, vraiment, ce n’est pas possible… « Le point de départ est autobiographique, mais c’est finalement énormément romancé. Certes, le prénom c’est vrai, les mèches blondes c’est vrai… Mais il a fallu se méfier du côté témoignage dont tout le monde se fout ! Je voulais vraiment trouver la fable intemporelle qui puisse vieillir dans le temps. Du coup, un jour, j’ai imaginé : on prend un petit Nabil, un petit Malik, un petit Kader et on fait tout pour lui enseigner les valeurs qui feront de lui un citoyen modèle, jusqu’à qu’il renie même sa religion. Qu’est-ce qui se passe ? J’ai imaginé que ce petit garçon veuille devenir président de la République. Et, dans cette équation-là, il y a une impasse qui était intéressante. »

Nasser Djemaï a visiblement pris beaucoup de plaisir à croquer les différentes personnalités du spectacle, dont en premier lieu la grand-mère pleine de bonté. Une grand-mère qui, malgré des actes ahurissants, n’est pas violement condamnée dans le texte. Car, chez Nasser Djemaï, il n’y a pas de position moralisatrice hautaine qui dénoncerait frontalement une situation, sans aucune subtilité. « Parce que c’est trop facile de dire que les méchants sont d’un côté et les gentils de l’autre. C’est trop facile de faire de la grand-mère une sorcière et de Nabil une petite victime. On est tous pétris de contradictions. Par exemple, moi, il y a des choses dans mes origines sociales, ethniques et religieuses qui m’insupportent complètement, qui ne demandent qu’à être interrogées. » La figure du père est d’ailleurs elle aussi pétrie de contradictions. « Il pousse son fils à ne pas devenir comme lui. Il lui transmet son complexe, en partant du principe qu’il ne peut rien lui donner. À travers lui, on reconnaît tout le travail d’infériorisation des colonies. »

« Quelque chose de très ludique »

Une étoile pour Noël est chargé en questions brûlantes, comme celle du racisme. Mais des questions abordées en sous-texte, les personnages semblant souvent lutter avec leur inconscient, cherchant parfois leurs mots pour ne pas révéler le fond de leur pensée. « C’est comme notre société. C’est très présent, très palpable, mais jamais prononcé. Si j’ai fait ce travail très précis sur les mots, c’est pour montrer ce que l’on vit tous les jours avec la langue de bois politique. Par cette difficulté à nommer la chose, ça raconte beaucoup. Tout ce que l’on a du mal à nommer est en lien avec tout ce que l’on a du mal à penser. J’aime bien cette espèce d’atmosphère autour d’un mot, comme le mot "arabe" qui n’est jamais prononcé, ou comme le mot "musulman". »

Et des questions traitées avec humour par l’auteur, son texte étant souvent très drôle. « C’est dangereux de se prendre au sérieux. L’humour permet beaucoup plus de profondeur parce qu’on donne la chance aux personnages d’avoir plusieurs niveaux de lecture et de sensibilité. On peut prendre certains passages à la lettre comme comprendre le sous-entendu qu’il y a derrière. »

L’humour est présent notamment dans la forme même du spectacle, un seul-en-scène minimaliste en scénographie dans lequel Nasser Djemaï campe donc tous les rôles : Nabil, son père, la grand-mère, son camarade de classe… Avec pour chacun une recherche précise et sobre sur la gestuelle, pour qu’on les reconnaisse en quelques secondes : c’est Nabil enfant qui bondit naïvement, c’est sa prof qui a des problèmes avec ses cheveux, c’est la grand-mère qui a une posture très droite… « Je voulais quelque chose de très ludique qui stimule l’imaginaire du spectateur. Je trouve qu’on a souvent tendance à enfoncer des portes ouvertes en surlignant des choses. Tandis que là, avec un simple geste, on sait à qui l'on a affaire, où l’on est et ce qui se joue. »

« Douze ans de psychanalyse derrière »

Pour créer ces personnages de théâtre, Nasser Djemaï a du accepter de se détacher de son histoire personnelle. « Je n’ai pas pu faire ça seul. J’ai collaboré à la dramaturgie et à la mise en scène avec quelqu’un d’outillé qui parle la même langue que moi : Natacha Diet. Ensemble, on a d’abord bossé sur des archétypes et, à partir de là, tout le travail a consisté à d’abord se rapprocher le plus près possible de mon histoire pour ensuite s’en éloigner le plus possible, avec tout un travail de distanciation et d’amusement. On a imaginé de vrais personnages de théâtre avec leurs codes, leur logique interne, leur trajectoire… À ce moment, l’histoire ne t’appartient plus, elle appartient à elle-même. »

Un processus qui a été long. « Il y a aussi pratiquement douze ans de psychanalyse derrière. Ça m’a permis de déceler la manière dont les complexes sont véhiculés par la filiation. J’ai dû faire le ménage là-dedans pour ne pas tomber dans un règlement de comptes ou dans la volonté de donner une leçon à qui que ce soit. Il s’agit d’abord d’un geste artistique. »

« L’électrochoc » 21 avril 2002

Une étoile pour Noël est le premier texte que Nasser Djemaï a écrit. Après avoir fini sa formation de comédien en 1998, il écume les plateaux pendant quelques années. « Je l’ai écrit pour moi à une époque où je m’interrogeais beaucoup sur mon avenir. Très vite, en étant comédien, je me suis rendu compte du peu de perspectives et de satisfaction que j’avais en tant qu’acteur. Je voulais dire trop de choses. Je courais les castings, je me retrouvais souvent sur des projets au service d’un propos qui ne racontait rien… J’ai eu besoin de trouver ma forme [le seul-en-scène – NDLR] pour découvrir ensuite ma langue d’écriture. »

Mais pourquoi, d’emblée, ce thème pas forcément facile ? « Le spectacle est parti de manière assez urgente. J’ai commencé à travailler dessus en 2002 : l’un des premiers électrochocs que j’ai eus a été le 21 avril 2002 [quand Jean-Marie Le Pen est arrivé au second tour de l’élection présidentielle – NDLR]. C’est une soirée qui m’a rendu profondément triste. J’ai du coup toute cette histoire de mon enfance qui remonte à la surface. En la racontant à des amis, ils m’ont conseillé de faire quelque chose autour de ça. »

Une étoile pour Noël verra le jour en 2005 et sera un véritable succès, Nasser Djemaï cumulant plus de 300 représentations. Mais, pendant tout ce temps, il a toujours gardé un goût d’insatisfaction. « J’ai mis trois ans pour le monter. Pourtant, au bout du compte, je sentais que je n’avais pas forcément abouti la forme. Par exemple, à l’époque, je n’étais pas arrivé à trouver la clé d’entrée. Et il y avait aussi des zones de texte un peu trop surlignées, des personnages trop dessinés, pas assez proches de moi… »

« Rester dans l’ombre »

D’où l’idée de le reprendre dix ans plus tard. Entre temps, Nasser Djemaï a continué son parcours de metteur en scène et d’auteur, avec un autre seul en scène (Les Vipères se parfument au jasmin) et, surtout, Invisibles, pièce très forte sur les travailleurs immigrés restés en France sans leur famille qui lui a valu d’être nommé l’an dernier aux Molières. « Le fait de reprendre Une étoile pour Noël dix ans plus tard permet de l’ancrer dans une lignée, de réinterroger cette introduction et de rapprocher les personnages de moi. »

Émerge alors au sein du parcours de l’artiste un fil directeur sans doute inconscient au début, mais qui devient de plus en plus présent avec le temps. « Ce fil conducteur est autour de la quête identitaire et de la difficulté à trouver sa place auprès des autres. Un projet nourrit l’autre. » On en aura la preuve la saison prochaine avec la pièce Vertige, qui verra le jour en janvier 2017 à la MC2. « C’est comme si, d’une certaine manière, Nabil tue son père sur Une étoile pour Noël ; le même Nabil, qui s’appelle Martin, retourne dans les enfers pour lui parler dans Invisibles ; et, à la sortie des enfers, ramène la lumière auprès de sa famille – c’est Vertige. Mais le danger est de propager un nouvel incendie. »

Une pièce avec six comédiens sur le plateau dans laquelle Nasser Djemaï ne jouera pas. Ah oui, il avait oublié de nous dire : « Je trouve plus de plaisir à rester dans l’ombre que d’être sous le feu des projecteurs. J’aime jouer mais je préfère mettre en scène et écrire. » D’accord, même si rien ne transparaît sur scène, au contraire !

Une étoile pour Noël, jusqu’au samedi 24 octobre à la MC2


Nasser Djemaï en neuf dates

1971 : naissance à Saint-Martin-d’Hères.

1995 : intègre l’École de la Comédie de Saint-Étienne.

1997 : continue sa formation à Birmingham.

1999 : premier contrat en Angleterre.

2001 : rencontre les metteurs en scène René Loyon et Robert Cantarella.

2005 : création d’Une étoile pour Noël.

2008 : Les Vipères se parfument au jasmin.

2011 : Invisibles.

2014 : Immortels.

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