Le Bouton de nacre

Le bouton de nacre
De Patricio Guzmán (Fr-Esp-Chili, 1h22)

Grand spécialiste de la dictature chilienne, à laquelle il a consacré l’essentiel de sa carrière cinématographique, Patricio Guzmán dresse un portrait ethno-historico-géographique de son pays, aussi fascinant qu’inattendu.

Des vues d’artistes du vaste cosmos, soumis à ses métamorphoses ; des images aériennes esthétisantes de la Patagonie. Et puis des glaciers, aux mille reflets bleutés ; un morceau de quartz piégeant des gouttelettes d’une eau venue des étoiles, ainsi que l’explique en off la voix douce du documentariste… Durant les premières minutes du Bouton de nacre, on s’inquiète : Patricio Guzmán aurait-il à son tour succombé à cette tendance du docu pangéographique naïf et aseptisé, dont Yann Arthus-Bertrand est le prophète ?

Évidemment non, et ce serait mal connaître l’auteur du Cas Pinochet que de le croire soumis à quelque diktat que ce soit, fût-il celui de la mode. Exaltant la beauté naturelle, minérale et végétale de son pays, ce préambule n’est toutefois qu’en partie une fausse piste : Guzmán a besoin de planter son décor. Et il laissera à d’autres le ronron de la contemplation extatique, car il a plus passionnant à raconter : rien moins que l’histoire du Chili, la vraie. Vaste programme, comme dirait de Gaulle…

La carte et le territoire

Si l’humain occupe l’essentiel de son propos, Guzmán multiplie les entrées pour nous permettre d’appréhender son pays. La principale clé de compréhension sera donnée par un géographe, opérant un constat quasi psychanalytique : selon ce spécialiste, le Chili, tout en longueur, isolé de ses voisins par la haute Cordillère des Andes et bordé par le Pacifique, a manqué sa vocation d’île. Petit royaume immense, il a cependant une mentalité d’insulaire ainsi qu’une capacité à l’autarcie – expliquant sans doute pourquoi, lorsque le monde entier s’indignait des exactions de la dictature, celle-ci manifestait une parfaite indifférence. Et continuait à faire disparaître les opposants, profitant des 6 000 km de côtes du Chili.

Voilà comment le cinéaste finit par renouer avec son sujet de prédilection. Lui qui s’est fait une spécialité de rappeler aux consciences oublieuses l’existence des disparus (ou de ceux dont on a voulu oblitérer la présence ) s’attache aussi au destin des peuples premiers du Chili, dont il retrace toute la terrible histoire. Victimes dans le meilleur des cas d’une assimilation forcée, dans le pire (et plus fréquent), ils ont fait les frais d’une discrimination indigne et d’une politique génocidaire, accentuée évidemment durant les années Pinochet. Les rares survivants, très âgés, ont conservé des reliques de leur culture, telle que la langue kawésqar. Guzmán en recueille quelques gouttes, que son film-quartz emprisonne pour l’éternité…

Le Bouton de nacre
De et avec Patricio Guzmán (Fr/Chi/Es, 1h22) documentaire

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