Ce dimanche, si vous restez en robe de chambre pour le concert proposé par les Barbarins fourchus, ce n'est pas si grave. Car l'essentiel est de venir afin de (re)découvrir cette proposition décalée centrée sur la musique classique. Pour l'occasion et pour le numéro 1000 du PB, rencontre à la Salle noire avec Delfino, membre fondateur de la compagnie, afin de causer musique, Barbarins et avenir. Propos recueillis pas Charline Corubolo
Dimanche 24 janvier a lieu la 24e édition de Musique (en robe) de chambre. Qui organise cet événement ?
Delfino : Les Barbarins fourchus, à l'initiative de Sergio Zamparo, un des musiciens porteurs de la compagnie qui a une formation classique du conservatoire de Turin. On a rencontré il y a déjà quelques années les gens du conservatoire de Grenoble. L'idée était de faire découvrir la scène à de jeunes musiciens et surtout d'essayer de populariser la musique classique sous toutes ses formes possibles et imaginables : l'accordéon classique, les cuivres, les percussions. Ça change à chaque fois...
Comment sont conçues ses propositions ?
Au sein des Barbarins, on a monté un petit orchestre qui s'appelle le Quasi Quatuor. On raconte des "bêtises" autour de la musique classique et des compositeurs ; et en même temps on joue. Ce quatuor est présent une fois à deux fois par an [il ne le sera pas ce dimanche – NDLR]. Sinon, ce sont vraiment des rencontres avec les élèves du conservatoire. Les professeurs les accompagnent parfois, car pour eux aussi c'est souvent la première fois qu'ils montent sur scène. On travaille aussi avec Isabel Oed, une grande comédienne grenobloise, et certains membres des Barbarins. On essaie de créer une ambiance particulière pour désacraliser la musique classique.
Et ça marche bien ? Le public est au rendez-vous ?
Oui, on arrive à avoir 200 à 300 personnes sur certains dimanches. C'est assez familial en fait. Les gens vont au marché, puis ils viennent avec leurs enfants, on offre le café et les croissants et chacun donne ce qu'il veut pour le spectacle. Il y a une belle écoute. L'accueil du public pour nous est primordial. On est contre ce côté lisse où on achète un billet de spectacle, on y va et quand c'est fini, on s'en va. Là, on peut discuter, on mange ensemble. C'est tout un travail qu'on mène depuis de longues années.
Puisqu'on parle des années : comment se porte le collectif, fondé en 1992 ?
Il est hyperactif, malgré les difficultés rencontrées par tout le monde, nous comme le monde du spectacle voire même les gens en général. Du coup, on se bagarre, on cherche à avoir une diversité de propositions. Au début, on travaillait avec des orchestres jusqu'à 15 personnes, j'ai l'impression que cette époque est révolue.
Depuis 1992, beaucoup personnes sont passées dans la compagnie, certaines sont restées, d'autres non. Aujourd'hui, on est environ 25, avec une quinzaine d'artistes, un bureau de 4 personnes et 3 à 4 techniciens qui travaillent en se relayant, car chacun est obligé de diversifier ses activités pour survivre. On a une dizaine de propositions artistiques qui vont du jazz à la chanson en passant par le rock'n'roll, les bals, les duos de poèmes rock, le cinéma ; et, donc, la musique classique. On prône un grand éclectisme : on a toujours revendiqué de ne pas être fixés dans une case particulière.
Vous êtes à la Salle noire, au cœur du site de Bouchayer-Viallet, depuis 2011, après des années passées au Théâtre 145 : vous y êtes bien ?
On n'est pas mal ici, on est même super bien ! C'est un très beau lieu modulable qui permet différentes formes. Par contre, on n'a pas de gradins donc pour un spectacle jeune public ou du théâtre, on bricole un "gradinage" avec les moyens du bord. C'est beaucoup de travail technique, changer la salle à chaque fois de look, modifier l'espace. On est contents aussi parce que cet été, au bout de trois ans, on a eu l'eau !
Par contre, pour la localisation, c'est différent. Avant, c'était un quartier très vivant, aujourd'hui c'est un dortoir d'un côté et, de l'autre, un site avec des gens qui sont là uniquement la journée pour travailler. C'est un faux quartier, du coup le contact avec les habitants n'est pas évident. On continue tout de même à mener des activités de lien avec le quartier, comme on le faisait à l'époque au 145. C'est un gros travail de s'approcher des personnes, ou de faire en sorte qu'elles ouvrent la porte, il faut parfois aller les chercher.
On essaie de mettre l'humain au centre de notre projet : pour nous c'est le principal, c'est ce qui manque à notre société. Je ne sais pas si c'est une conscience ou une espèce de rébellion face au lissage des propos artistiques, culturels et architecturaux.
De nouveaux projets à venir ?
Il y a une création avec Dyade à Fontaine, une association pour l'art et le développement, qui s'est mise en route l'année dernière et qui continue d'évoluer. On ne peut pas faire une création toutes les 5 minutes, les choses vont doucement, elles cheminent. Il s'agit d'Urban Shaman qui va être jouée ici les 11 et 12 mars.
Un des autres projets sur lequel on travaille actuellement s'appelle Moderne classique, il sera donné au Théâtre municipal le 27 mai. On a repuisé dans le répertoire des Barbarins, des pièces poétiques qu'on avait montées avec de la chanson française et du rock'n'roll. On les réarrange version classique acoustique, sans technique sonore, comme un poème classique. C'est un peu notre création de printemps : il y a beaucoup de travail de réécriture, de réarrangement, même la formation sera très différente.
C'est comme une boucle pour nous parce qu'au début, on a beaucoup joué dans la rue, en acoustique. C'est comme si, aujourd'hui, on faisait une synthèse et qu'on revenait avec cette volonté de légèreté.
Ça fait plus de 20 ans que vous êtes dans le paysage culturel grenoblois. Parfois, vous ne vous sentez pas démodés...
On n'a pas occupé seulement le paysage culturel grenoblois, on a tourné dans toute la France ! On est allés en Afrique, en Russie, en Pologne... Sinon, pour répondre à votre question, la mode, ça se démode ! On est dans la création, dans la fabrication, on essaye de proposer des choses, d'être au plus près des gens. On est contre cette espèce de consumérisme culturel, même si on a besoin que les gens viennent pour payer les artistes, les techniciens et tous les autres, mais la manière de le faire est fondamentale.
Donc passés de mode, je ne crois pas : je crois qu'on est des résistants au contraire ! Les gens ont envie qu'on leur raconte des histoires, on a envie de leur raconter des histoires, avec le cœur et l'énergie. Puis on peut dire qu'on a réussi la performance extrême de rester inconnus au bout de 20 ans, ce qui n'est pas rien. Certains artistes contemporains seraient fiers de ce genre de performance !