Anne Fontaine, qui apprécie toujours autant les sujets épineux (et a pris goût aux distributions internationales), en a débusqué un en Pologne : l'histoire de religieuses enceintes après avoir été violées par des soudards soviétiques... Surprenant. Vincent Raymond
C'est une fort étrange apocalypse que l'irruption de cette œuvre dans la carrière d'Anne Fontaine. Même si la cinéaste a continûment manifesté son intérêt pour les histoires un brin dérangeantes, celles-ci se déroulaient dans des familles ordonnées, aux meubles et parquets bien cirés ; la perversité et l'audace transgressive demeuraient domestiques, circonscrites au périmètre intime. Les Innocentes change la donne.
Premier réel film historique de la réalisatrice – Coco avant Chanel (2009), comme son nom l'indique, était un portrait (bancal) d'une Gabrielle Chanel en pleine ascension – il s'extrait surtout du récit bourgeois pour investir un “ailleurs”, ou plutôt “des” ailleurs. Le contexte de la guerre, la situation des autres (et non plus le “moi” du couple, de la famille idéale chamboulée) ; l'apprentissage du dialogue corps-esprit, et surtout la place des femmes, universelles premières victimes des conflits, dessinent ici les lignes de force de ce qui n'est pas qu'une reconstitution.
En effet, l'histoire pourrait hélas se dérouler en des temps contemporains : Les Innocentes montre que des médecins doivent contrevenir à des règles militaires et religieuses pour soigner des victimes dites “collatérales” – c'est encore le cas aujourd'hui.
Médecine non conventionnelle
Revendiquant Bernanos et s'inscrivant dans une forme d'ascèse narrative, Anne Fontaine n'omet cependant pas la chair : en parallèle des séquences dans le gris clos du couvent ou la nuit glaciale des forêts solitaires, elle instille des parenthèses de vie au milieu des décombres de la guerre – paradoxe en apparence invraisemblable. À coup de petites discordances, de ruptures, elle fait progresser deux mondes disjoints (le laïc et le spirituel) ayant connu séparément la même barbarie vers une lumière grave, leur offrant de partager une “libération” commune, à défaut d'être irénique.
Interprète du chirurgien mélancolique courtisant l'héroïne, Vincent Macaigne compte au nombre des étrangetés du film. Il doit sa présence à Anne Fontaine, qui a misé, justement, « sur sa bizarrerie, sa fantaisie, son ironie. Jusqu'à présent, il a toujours été dans des rôles un peu bobos : flou, mal rasé, les cheveux n'importe comment. » La réalisatrice poursuit : « Je lui ai tout de suite fait couper les cheveux et mettre un corset. Cet élément corporel a changé son attitude, l'a stylisé. Il n'est pas le beau chirurgien que l'on s'attend à voir dans un couple romantique ; il le rend non conventionnel. » Voilà qui tombe bien : la seule convention admissible dans un film de guerre, c'est celle de Genève.
Les Innocentes d'Anne Fontaine (Fr., 1h55) avec Lou de Laâge, Vincent Macaigne, Agata Buzek...