Fascinante hydre pop à cinq têtes, Feu! Chatterton est la créature la plus singulière du rock et de la chanson depuis des lustres. Entre transe(s) musicale(s) et textes ébouriffants, théâtralité et détachement, la nouvelle coqueluche de la scène française a su imposer un style aussi unique que volatile, entre aspirations old school et ultra-moderne attitude, qui pourrait le mener très haut. Entretien avec son chanteur et parolier Arthur Teboul, avant le concert à la Belle électrique. Stéphane Duchêne.
Dans le groupe, vous avez tous des profils, des goûts musicaux très différents. Pourtant, vous produisez quelque chose d'à la fois singulier et cohérent. À quel moment vous êtes-vous dit : le style musical, les textes, l'image, tout concorde ?
Arthur Teboul : Ce n'est jamais vraiment arrivé. C'est encore une quête. Assembler des pièces pour former un tout, c'est ce qui est assez excitant. L'ambition est venue tardivement. Si on essaie de se mesurer immédiatement à quelque chose de très élevé, on est pétrifié. Il y a toujours un moment où, comme tout jeune groupe, on se dit « je veux être cool » mais c'est une fois qu'on parvient à se débarrasser de cette idée qu'on fait quelque chose d'original.
Le fait de s'amuser, de tâtonner ensemble, de s'écouter, d'apprendre de l'autre, le respect mutuel... si tu fais cet effort, à la fin, il y a un beau cadeau : c'est ce moment que tu vas vivre sur scène, charrié par une intention, un travail, une relation, parfois même ce qu'on n'aime pas chez l'autre, parce que c'est important.
Votre style et votre album sont un véritable puzzle de genres mais votre identité musicale reste très forte. N'est-ce pas au fond vos textes qui constituent la colonne vertébrale musicale du groupe ?
Il y a un avantage énorme, je trouve, à chanter en français : quelle que soit la direction musicale, la cohérence est assurée. En anglais, on est à mon avis davantage cantonné à un style. Nos maîtres en France – Gainsbourg, Bashung – se sont permis d'aller dans toutes les directions et leur patte, leur voix demeuraient. Ce qui changeait, ce n'était au fond que la musique, l'ambiance. On savait d'emblée que le français nous accordait cette chance de balayer le plus largement possible notre univers.
Alors Gainsbourg ou Bashung l'ont fait d'un disque à l'autre... Nous, on a été un peu ambitieux, trop peut-être, en essayant de le faire sur un seul et même disque. Mais au fond, notre première exigence, c'est de bien raconter une histoire, parfois très clairement, parfois de manière plus elliptique.
Vos textes semblent graves, votre manière de les interpréter, théâtrale, mais il s'y cache aussi beaucoup d'ironie...
Cette ironie-là, je l'ai trouvée chez Wilde. Il pouvait être cruel et emphatique et tout de même mettre une dose d'autodérision. Il faut se nourrir des contradictions, c'est un bon moyen de faire vivre les morceaux. C'est comme notre nom. On choisit Chatterton, le grand poète suicidé, « Feu Chatterton », expression ancienne, un peu châtiée, pour parler de celui qui est mort. Et avec juste un point d'exclamation, on y ajoute autre chose : une dimension cartoonesque et le feu du top départ, totalement en contradiction avec le destin funeste du poète maudit.
On nous dit parfois, « oh la la, c'est triste vos chansons, c'est plombé, c'est alambiqué ». Oui et non. Quand on fait mourir des amants dans une pinède, ça nous fait marrer. Ça ne veut pas dire qu'on est cruels. Ça nous fait rire parce que ce sont des chansons. C'est une belle fin, la mort dans les chansons. C'est autre chose que de se dire « Salut, je prends la porte, à plus tard ».
« Notre première exigence, c'est de raconter une histoire, parfois très clairement, parfois de manière plus elliptique. »
La tournée, l'album, la réception critique et l'enthousiasme public : vous êtes en pleine ascension. Tout a été à la fois très vite et par étape et demeure très intense. Où se situe l'équilibre entre l'épanouissement et la crainte de se brûler les ailes ?
C'est allé très vite, mais on a l'impression d'avoir pris toutes les marches. On a tourné avec le EP, parallèlement, on a enregistré le premier album. On a une vie d'artisans, on n'est pas dans un rêve ou un fantasme, loin de là, on bosse : on prend le camion, on fait la route, on installe, on fait le concert, ça trois fois par semaine. La promiscuité, cette implication totale, la fatigue, ça entraîne forcément à se poser des questions. En me demandant : « si au moment où je réussis le mieux, ça ne me rend même pas épanoui et heureux, est-ce que je suis fait pour ça ? », j'ai réalisé qu'il fallait que je continue.
C'est une fonction, et pour ne pas se cramer complètement, il faut réaliser que comme toute fonction, ça impose une discipline, des responsabilités qu'il faut accepter. Si tu ne les prends pas, tu croules. Mais le fait d'avoir envisagé ce désastre et de l'avoir écarté, ça a libéré quelque chose qui nous permet de continuer notre chemin musical, de chercher, comme je le disais : chercher à accueillir une certaine idée de la beauté et à profiter de notre éclairage, de notre petit porte-voix, pour la partager, en étant le plus intègre possible.
Feu ! Chatterton
À la Belle électrique samedi 5 mars à 20h30