"Wilate'e & Vanmélé.e.s" sonne comme un poème léger. La nouvelle exposition du Cente d'art Bastille traite pourtant d'un sujet délicat : les déportés politiques durant l'empire colonial français. Autour de pistes sonores mêlant archives, musiques et témoignages, le parcours invite à s'écouter réfléchir. Charline Corubolo
De Brest jusqu'à Toulon en passant par Draâ El Mizan, Oran et finalement Kanaky, le projet Wilate'es & Vanmélé.e.s cherche à donner de la voix aux déportés politiques sous l'empire colonial français. Une proposition impulsée par l'artiste Pierre Michelon qui, suite à un workshop de trois jours à l'École supérieure d'art design de Grenoble, s'est poursuivie avec des étudiants, des traducteurs, des théoriciens, des géographes... Un véritable groupe à géométrie variable pour faire résonner un récit trop souvent « voilé ».
En sous-titre de l'exposition, visible au Centre d'art Bastille, des dates : 1871, 1878, 1925 et 2018. Quatre dates pour quatre moments-clés où des insurgés communards et des révoltés algériens se sont retrouvés déportés en Nouvelle-Calédonie pour avoir fait face à la puissance coloniale française. 2018, telle une conclusion, marque le prochain référendum en vigueur pour l'indépendance ou non de l'île du pacifique. Cette histoire, bien qu'enseignée dans les livres scolaires, demeure opaque. En sondant les imaginaires guyanais, kanak, français et algérien, l'exposition entremêle des territoires, des fragments de vie et des luttes pour écrire, mais surtout dire, un passé commun complexe dans lequel l'oralité, plurielle, ouvre de nombreuses voies.
Une histoire sensorielle
Cette pluralité débute avec le nom du projet : "wilate'e" signifie petit oiseau polyglotte en teko, dialecte d'une nation autochtone de Guyane, tandis que "vanmélé" vient du créole guyanais et évoque « celui ou celle que les vents ont apporté, ont constitué ». Une combinaison qui offre une approche poétique pour cette fabrique artistique, politique et historique.
L'histoire se manifeste également avec le sous-titre « Là où ils ont fait le vide et le silence ». Issues d'un discours du chef des Calédoniens Calgacos prononcé en 83 (oui, il y a très longtemps), ces paroles ont été adaptées en arabe, kanak et kabyle. Dès lors apparaît déjà les enjeux de l'interprétation et des différentes nuances culturelles.
Des interrogations que l'on retrouve au cœur même du parcours, découpé en plusieurs pistes sonores, elles-mêmes composées de trois à quatre bandes. Certains témoignages évoquent les traductions de lettres envoyées par des déportés, exercice qui met alors en lumière la polysémie des langages. Ces lectures sont enrichies de poèmes, de partitions de musique de Louise Michel, de récits oraux des enfants et des petits-enfants de ces condamnés d'hier, pour une fable sensorielle et sensible. Une transposition de l'histoire en matière artistique qui pose des questions au-delà des événements du passé pour inscrire le tout dans une réflexion contemporaine de la matière.
Nourrir l'esprit
Car plus qu'une volonté de gommer une certaine méconnaissance face à des faits historiques, le projet interroge la réception de ces éléments. Comment les faire parler, comment les manipuler et dans quel contexte ? Afin de produire ensuite avec cette matière écrite, puis dite, un propos juste et cohérent. Sans réellement apporter de réponse, l'ensemble tend surtout à pousser le collectif à réfléchir.
Une idée qui sort même du cadre scientifique pour arpenter les conditions de l'exposition. Créer à partir d'une matière comme le son contraint ainsi l'espace dans la déambulation mais aussi le corps dans son appréhension à l'œuvre. S'arrêter, écouter et se permettre de douter face à ce qui nous parvient. Plus qu'une expérience sensorielle, l'exposition s'avère être un instant réflexif et évolutif, la proposition s'enrichissant de nouveaux éléments les samedis 5 et 19 mars, tels des chapitres. Dans cet ancien fort militaire qu'est le Centre d'art Bastille, le silence n'est plus et c'est avec force que la pensée se retrouve comme en suspens, dans un état sensible qu'il faut panser.
Wilate'e & Vanmélé.e.s
Au Centre d'art Bastille jusqu'au 27 mars