« Un festival de découverte et de confirmation »

Depuis 2011 a lieu chaque début de printemps à Grenoble (et en Isère) un festival exigeant centré sur des musiques que l’on n’a pas l’occasion d’écouter tous les jours. Son nom ? Les Détours de Babel. Avant de zoomer sur l’alléchante programmation de cette sixième édition, on a causé programmation, langages musicaux ou encore élitisme supposé avec le boss Benoît Thiebergien. Par Aurélien Martinez

En 2013, pour la troisième édition du festival, nous avions paraphrasé Antoine Vitez et titré notre article « Élitisme pour tous ». Vous reconnaissez-vous dans cette expression ?

Benoît Thiebergien : Oui et non, je me méfie des "ismes". Vitez parlait de « théâtre élitaire pour tous ». Parlerait-on d’un festival « populiste » pour dire populaire ? La formule est à double sens. Soit elle fait référence aux élites qui savent ce qu’il convient de proposer au peuple pour l’éduquer : une vision obsolète de l’action culturelle aujourd’hui dans laquelle nous ne nous retrouvons pas. Soit elle considère qu’une démarche artistique exigeante que l’on pense réservée à quelques-uns est un a priori qui disparait quand elle va à la rencontre de tous les publics, qui sont souvent bien plus curieux qu’on ne le croit. C’est dans ce sens que je vous rejoins dans cette paraphrase.

À Babel, on veut maintenir cette exigence artistique au centre de nos préoccupations avec des choix qui ne sont pas forcément "mainstream". Prendre des risques, soutenir la création et l’ouvrir à la diversité culturelle, croiser aussi les professionnels et les amateurs, et bien sûr s’adresser à des publics très larges font partie de nos priorités. Pourtant, si le festival garde encore parfois une image élitiste chez certains, c’est sans doute parce qu'ils n’y viennent pas…

On pourrait donc s’entendre sur l’expression exigence pour tous ?

Oui, nous considérons que l’on peut se divertir, prendre du plaisir, vivre l’émotion du concert tout en réfléchissant, s’interrogeant, en abordant des sujets qui questionnent la société dans laquelle on vit, notamment à travers les thématiques que nous choisissons. On veut sortir de cette dichotomie entre musiques savantes, sérieuses pour les gens cultivés et musiques de divertissement pour le grand public. La création nourrit toutes les musiques et fait bouger les lignes, c’est sa force.

On pourrait rajouter aussi « exigence par tous » à travers les projets participatifs que nous menons impliquant les enfants, les jeunes musiciens, les amateurs, la population… D’ailleurs, la forme festival le permet plus facilement en créant une effervescence propice à la découverte, à la rencontre, à la participation.

Musicalement, le festival brasse large, comme résumé dans le sous-titre « musique du monde, jazz et musiques nouvelles »…

On ne défend pas un genre ou une esthétique, on les traverse. Ça fait partie de l’ADN de notre projet. On va donc des formes baroques ou contemporaines jusqu’au jazz ou à l’électro, en passant par les musiques du monde en créant des ponts entre les esthétiques, entre les musiques d’ici et d’ailleurs. C’est la thématique qui constitue le fil rouge de la programmation.

Au départ, on ne voulait donc pas indiquer les genres musicaux puis, finalement, on s’est rendu compte qu’il fallait quand même des repères pour le public – les trois champs principaux que vous venez de citer. Mais on s’intéresse surtout à ce qui s’invente au croisement de ces genres-là, pour voir comment les langages musicaux se métissent aujourd’hui et évoluent au-delà de leur appellation d’origine.

Si le festival garde encore parfois une image élitiste chez certains, c’est sans doute parce qu'ils n’y viennent pas

On note depuis quelques années l’arrivée dans la programmation du festival de noms peut-être plus connus du grand public comme, cette année, le trompettiste Ibrahim Maalouf (il a ouvert le festival mardi), le rockeur Rodolphe Burger, le saxophoniste Guillaume Perret, le fameux Quatuor Debussy (une référence dans le monde de la musique classique)…

Oui, chaque année on a, entre guillemets, quelques têtes d’affiche qui permettent au public de se repérer, même si on reste principalement un festival de découverte et de confirmation. Mais ce qu’on essaie de faire avec eux quand on le peut, ce n’est pas forcément de les accueillir dans leur format habituel mais d’essayer de construire ensemble de nouveaux projets, ou de choisir un de leurs projets plus décalés par rapport à l’image qu’ils renvoient.

Cette année, on reçoit à nouveau Ballaké Sissoko mais il jouera dans une rencontre étonnante avec trois autres grands solistes, ou bien le rockeur Rodolphe Burger avec des musiciens traditionnels ouzbeks. On a ainsi des propositions souvent inédites dont de nombreuses en "première" sur les scènes du festival.

C’est donc parti pour trois semaines intenses de festival. Mais vous avez également une activité fournie à l’année avec le Centre international des musiques nomades…

Les Détours Babel, c’est pas loin de 150 rendez-vous sur un peu plus de 3 semaines dans 50 lieux répartis sur 30 communes de l’Isère. Soit plus de 80 concerts et spectacles ! C’est la face émergée de l’iceberg. Le Centre international des musiques nomades (CIMN) est la structure porteuse du festival. Elle mène également beaucoup d’événements à l’année, avec notamment une programmation de saison à raison d’un à trois concerts par mois dans des salles de l’agglo et en Isère.

Mais notre travail, c’est aussi de monter des productions, de passer commande, d’organiser des résidences de création, de mettre en œuvre l’appel à projets des Chantiers avec lequel on accompagne des jeunes artistes qu’on essaie de promouvoir… Un travail important qui trouve son aboutissement chaque année sur les scènes des Détours.

Les Détours de Babel
Jusqu’au samedi 9 avril à Grenoble et dans l’agglo

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