Le 47e opus de Woody Allen-réalisateur semble avoir été taillé sur mesure pour effectuer l'ouverture de la 69e édition du festival de Cannes : glamour, artifices et nostalgie des vieilles bobines s'y bousculent. On passe un charmant moment, sans être transporté...
Un film situé, au moins partiellement, dans les arcanes du Hollywood de l'âge d'or ne pouvait que finir (ou, à tout le moins, commencer sa carrière) sur la Croisette. Café Society tend une sorte de miroir temporel pareil à une vanité à la foule des producteurs, cinéastes, comédiens, agents qui se pressent aux marches du Palais et dans les réceptions pour participer à la gigantesque sauterie cannoise.
Car du cinéma, il ne montre absolument rien si ce n'est un extrait de La Dame en rouge (1935) de Robert Florey. En cela, il se situe aux antipodes de Avé César des frères Coen qui avait effectué l'ouverture de la Berlinale. Ici, les stars demeurent cachées dans leurs résidences exubérantes, ou des noms évoqués par paquets de dix, d'éphémères symboles de puissance dans l'Usine à rêve, totalement privées de substance et d'incarnation.
Woody et ses doubles
C'est plus la nostalgie jazzeuse, l'élégance du cadre et les vestes cintrées qui intéressent Woody Allen dans ce décor-prétexte. Les plateaux, il leur a déjà réglé leur compte dans Hollywood Ending (2002), comédie décriée et pourtant débordant de charme burlesque. Un réceptacle dans lequel le cinéaste peut animer un nouvel avatar de sa personne, campé par Jesse Eisenberg, excellent dans le costume engoncé du New-Yorkais juif gringalet s'aventurant en Californie, réussissant avec la vie et les femmes, malgré des déconvenues sentimentales, des yeux écarquillés et une famille pittoresque.
Mais Eisenberg n'est pas son seul alter ego : depuis qu'il a renoncé à être son propre interprète, Woody se disperse davantage à l'écran, s'incarnant dans des personnages de tous âges, conférant à certains dialogues entre les protagonistes masculins d'étranges allures de monologue. Les héroïnes sont quant à elles glamourisées au moins autant que les joueurs de jazz – ce qui n'est pas peu dire.
What else ?
Mais à trop ciseler son enveloppe, le réalisateur n'en a-t-il pas oublié de soigner sa missive ? On ne peut qu'être admiratif de la grande élégance formelle de Café Society, dont l'image porte indubitablement dans ses intérieurs en clairs-obscurs et ses lumières mordorées la marque de Vittorio Storaro, le directeur photo de Bertolucci ou Coppola, tout en constatant qu'il lorgne vers un classicisme par trop rassurant. Woody Allen semble ne pas avoir envie de forcer son talent, en refusant de donner une issue sévère à son mélodrame – ce qu'il a pourtant su faire avec habileté dans un passé récent (voir Blue Jasmine).
Certes, ses personnages évoquent à plusieurs reprises la question de la dualité amoureuse et de l'impasse de tout choix, mais le réalisateur paraît lui aussi avoir eu de la peine à trancher, préférant se contenter d'un flou timoré. Cette conclusion en suspens renforce l'impression générale d'avoir passé un moment agréable en leur compagnie, mais sans la magie espérée.
Quand Woody Allen promet un café, on s'attend à avoir le petit chocolat et le biscuit croquant en supplément. Il y a tout juste ici la touillette et le sucre... Un peu frustrant pour les gourmands.
Café Society
de Woody Allen (E.-U., 1h36) avec Jesse Eisenberg, Kristen Stewart, Steve Carell...