"Julieta" : Almodóvar se met à nu

Julieta
De Pedro Almodóvar (2016, Esp, 1h39) avec Emma Suárez, Adriana Ugarte...

de Pedro Almodóvar (Esp., 1h36) avec Emma Suárez, Adriana Ugarte, Daniel Grao…

Accrochant un nouveau portrait de femme abattue aux cimaises de sa galerie personnelle, le cinéaste madrilène semble avoir concentré sur cette malheureuse Julieta toute la misère du monde. Avec son absence de demi-mesure coutumière, Almodóvar l’a en effet voulue veuve, abandonnée par sa fille unique, dépressive, en délicatesse avec son père et rongée par la culpabilité. Un tableau engageant – qui omet de mentionner son amie atteinte de sclérose en plaques…

Construit comme une lettre à l’absente, Julieta emprunte la veine élégiaque de l’auteur de La Fleur de mon secret. On est très loin des outrances, des excentricités et des transgressions des Amants passagers (2013), son précédent opus façon purge s’apparentant à un exercice limite de dépassement de soi – et qui s’était soldé par un colossal décrochage. Revenu les pieds sur terre, Almodóvar se met ici au diapason de sa bande originale jazzy : en sourdine. Au milieu de ce calme relatif, seules les couleurs persistent à crier – les personnages et le montage faisant l’impasse sur l’hystérie mécanique emblématique de son cinéma et tellement épuisante.

Alors oui, on a l’impression de suivre une sorte de mélo mou aux jointures fragiles (le fait que Pedro ait adapté trois nouvelles d’Alice Munro n’y est sans doute pas étranger), mais aussi un exercice appliqué d’apaisement. Pour constater au passage que la quiétude sied bien au cinéaste : le changement de tempo le conduit à user avec à-propos de quelques ralentis plus spectaculaires que des effets criards.

Mais l’inconvénient de ce traitement soft, c’est qu’il révèle la nudité du roi. Libéré de ses oripeaux clinquants, de son habillage bariolé agrémenté de complaintes déchirantes, le tire-larmes apparaît dans son essence ordinaire. Le scénario a beau tirer sur toutes les cordes du deuil, toucher toutes les générations, tenter de forcer l’empathie en passant par la culpabilité, il n’a pas la grâce spontanée, la sincérité de Parle avec elle (2002). Lui faire grâce cette année d’une récompense s’apparenterait à une aumône, pour le remercier de son assiduité sur la Croisette…

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