Comment faire rire ? Ce casse-tête d'un jour pour les candidats au bac de philo est le lot quotidien du réalisateur Antonin Peretjatko, qui reçoit les félicitations du jury grâce à sa dernière copie – pardon, son nouveau film : "La Loi de la jungle". Interview.
Est-il facile aujourd'hui de tourner une comédie à la fois burlesque et absurde comme La Loi de la jungle ? Les cinéastes contemporains semblent comme timides face à ce style, qui a jadis connu ses heures de gloire...
Antonin Peretjatko : C'est effectivement de l'ordre de la timidité ou de l'autocensure. Faire des gags visuels est assez difficile, parce qu'aujourd'hui les scénarios sont financés par des lecteurs. Écrire quelque chose de visuel, c'est aussi délicat que décrire une peinture que vous allez faire ! Cela explique d'ailleurs pourquoi il y a autant d'adaptations de BD comiques : les dessins sont déjà là, et l'on peut plus aisément visualiser les potentiel comique du film. Quant aux livres où l'on éclate de rire, il y en a très peu, il faut remonter à Rabelais.
Ensuite, la difficulté des gags visuels, c'est qu'ils peuvent avoir un impact sur le scénario et les personnages. Un gag n'est pas une science exacte, on n'est jamais sûr à 100% que cela fonctionne. Et si, au tournage ou au montage, on s'aperçoit qu'un effet burlesque situé à un nœud scénaristique très important est raté, on le met à la poubelle. Le problème est qu'il manque alors un étage à la fusée, et il faut retourner une séquence. Cela peut avoir un impact dramatique sur les finances ; voilà pourquoi on réfléchit à deux fois avant de faire ce genre de film.
Et cependant vous persistez, en balayant un spectre comique de plus en plus large et précis...
L'humour a ceci de particulier que tout le monde en a, mais ce n'est pas le même. Je voulais ici un éclectisme dans l'humour pour n'exclure personne. Quant à cette douloureuse question du timing dans le gag – si on va trop vite ou pas assez –, ce sont des choses qui s'apprennent par l'expérience. Le spectateur est sans concession : s'il ne rit pas, il est en rogne et il le fait savoir. Il aura une autre appréciation pour un drame, un sentiment de colère atténué s'il croit moins aux personnages...
Lorsque une comédie parlant du monde d'aujourd'hui n'est pas drôle, le public ne voit pas le message, il voit seulement la comédie ratée. C'est pour cela que dans les comédies actuelles, il y a davantage de dialogues : leur perception comique est immédiate. Rien ne dit qu'un film reposant sur le comique de situation ou visuel va être drôle, à part le précédent du réalisateur...
Justement, l'accueil globalement assez favorable réservé en 2013 à votre premier long métrage, La Fille du 14 juillet, vous a-t-il encouragé à aller aussi loin dans l'exotisme – aussi bien pour les décors que la narration ?
Pas seulement... Ça m'a aidé à aller dans le baroque d'un film partant dans tous les sens, plus en feu d'artifice. Mais il y avait aussi ici un scénario beaucoup plus solide, une ligne directrice faisant que le spectateur ne risquait pas de se perdre dans les méandres de l'histoire. Et l'intrigue était suffisamment forte pour rassurer les personnes qui mettaient de l'argent dans le film.
Vous faites dire à un personnage que « le Français n'a pas vocation à être rentable ». Un cinéaste, en revanche, se doit-il de l'être ?
Pas forcément. Mais il faut toujours pouvoir faire le film suivant ! Après, la rentabilité peut s'exprimer de plusieurs façons... Un producteur peut s'engager sur un film dont le projet artistique s'adresse à une petite frange de la population, mais il sait qu'il lui rapportera suffisamment niveau notoriété, afin de produire ensuite un film différent rapportant, celui-là, énormément d'argent.
La singularité de votre écriture comique passe aussi par l'utilisation de la musique : vous composez une sorte de patchwork...
Tout à fait. En cela, c'est un film baroque mélangeant plusieurs impressions très différentes : une harmonie de contraires, de styles musicaux et cinématographiques différents. La musique a plusieurs utilisations : elle peut ainsi être un personnage, un sentiment ou simplement donner une couleur. Dans les vingt premières minutes, elle est classique, trop grandiloquente pour les images – elle rappelle les comédies burlesques américaines des années cinquante, parce que c'est du tac-au-tac, des gags visuels, que cela va vite. Puis, lorsque l'on entre dans l'histoire entre les deux personnage, l'atmosphère tourne grâce à la musique. L'arrivée de la musique électronique et de Jean-Michel Jarre à la fin amène encore quelque chose de nouveau.
La musique est choisie avant la réalisation, lors des repérages. Les décors incitent à certains choix : par exemple, la jungle m'a renvoyé sur Olivier Messiaen. Ensuite, le montage est un labo qui permet de tester, de voir si les associations avec les images marchent. Ou pas...
Au Club jeudi 16 juin à 20h15