"Toni Erdmann" : la révélation du Festival de Cannes enfin en salle

Toni Erdmann
De Maren Ade (Allemand, Autrichien, 2h42) avec Peter Simonischek, Sandra Hüller, Michael Wittenborn

De ces retrouvailles affectives en (fausses) dents de scie entre un père et sa fille, la réalisatrice allemande Maren Ade tire une grande fresque pudique mêlant truculence, tendresse et transgression sur fond de capitalisme sournois. Deux beaux portraits, tout simplement, à découvrir à partir du 17 août.

Pas de chance pour la réalisatrice Maren Ade, nouvelle victime de la loi du conclave : encensée par les festivaliers de Cannes, elle en est repartie Gros-Jean comme devant, boudée par le palmarès. Pourtant, son film avait de très solides arguments artistiques et moraux pour décrocher ne serait-ce qu’un accessit. Son éviction pose question, conduisant à réfléchir sur les goûts normés et une forme (inconsciente) de ségrégation : l’histoire entre le père et la fille a sans doute ému le bon jury, mais ce dernier a peut-être été surpris par des protagonistes et un traitement inhabituels pour pareil sujet.

Car Ade dépeint la réalité crue et misérable d’une classe prétendument supérieure totalement dépourvue de glamour, d’attaches, de substance, et use pour ce faire d’une esthétique comparable à celle prisée par les apôtres du cinéma social. Elle renvoie l’image de la médiocrité pathétique et ordinaire des tenants de la société de la performance – ces gens qui, suivant la même ligne éthique, survalorisent le beau, éliminent le faible, traquent la dépense inutile, délocalisent…

Mon père, ce golem

Toni Erdmann est un film anar ; quant au personnage portant ce nom (l’invention d’un père pitre-né pour récupérer au cœur de la Roumanie sa fille, égarée dans le monde de la finance), il a tout de l’ancien fou des cours royales. Trublion sans gêne se coiffant d’une perruque ridicule et d’un dentier d’opérette, comme un clown chausserait son nez rouge postiche, il compose son double pour effectuer ses interventions publiques. Sous des dehors perturbateurs, il agit en fait en régulateur, ouvrant les yeux de sa fille aux choses essentielles, qui tranchent avec ces lieux impersonnels (centres commerciaux, chambres d’hôtel, ambassades, appartements de fonction, salles de réunion, limousines…) aseptisés qu’elle arpente, où le beige-taupe le dispute au gris.

Incarnation de la maladresse, de l’excès généreux et de la spontanéité joyeuse, ce Monsieur Erdmann porte bien son nom – littéralement, "homme de la terre", parfait pour un golem ou un post-soixante-huitard désinhibé. Il est bien cet être impayable et à la richesse de cœur sans limite ; cette exception désintéressée dans un monde gouverné par les cartes de crédit…

Toni Erdmann
de Maren Ade (All., 2h42) avec Peter Simonischek, Sandra Hüller, Michael Wittenborn…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Lundi 19 décembre 2016 Jusqu’alors spécialisé dans le documentaire, Xavier Rocher a coproduit avec sa jeune société La Fabrica Nocturna "Wolf and Sheep", le très réussi premier film de Shahrbanoo Sadat. Une aventure franco-dano-suédo-tadjiko-afghane…
Lundi 24 octobre 2016 Lorsqu'un État fait des économies en étouffant les plus démunis, ceux-ci s’unissent pour survivre en palliant sa criminelle négligence. Telle pourrait être la morale de cette nouvelle fable dramatique emplie de réalisme et d’espérance, qui a valu à...
Mardi 30 août 2016 Oubliez son discours survolté lors de la remise de sa Caméra d’Or lors du dernier Festival de Cannes et considérez le film de Houda Benyamina pour ce qu’il est : le portrait vif d’une ambitieuse, la chronique cinglante d’une cité ordinaire en...
Lundi 16 mai 2016 Si Roméo était fils d’un ogre pêcheur et Juliette travestie, fille d’un industriel de Tourcoing, peut-être que leur histoire ressemblerait à cette proto-comédie de Bruno Dumont. Un régal pour l’œil, mais pas une machine à gags. En compétition...
Mercredi 11 mai 2016 Le 47e opus de Woody Allen-réalisateur semble avoir été taillé sur mesure pour effectuer l’ouverture de la 69e édition du festival de Cannes : glamour, artifices et nostalgie des vieilles bobines s’y bousculent. On passe un charmant moment, sans...
Lundi 9 mai 2016 Alors que le fameux festival débute ce mercredi 11 mai (avec, à Grenoble, une soirée spéciale au cinéma Le Club), on fait le point sur les quelques films qui seront visibles en salle pendant cette quinzaine.

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X