Philippe Lioret : « J'avais besoin de faire un film solaire »

Le Fils de Jean
De Philippe Lioret (Fr, 1h38) avec Pierre Deladonchamps, Gabriel Arcand...

Interview / Apaisé et souriant, le réalisateur aborde avec confiance la sortie de son film franco-québécois "Le Fils de Jean".

Comment vous-êtes vous libéré du livre original de Jean-Paul Dubois ?

Philippe Lioret : Cela m’a pris beaucoup de temps de réflexion, de maturation… Je l’ai lu il y a une dizaine d'années : je l’ai trouvé formidable. C’est un grand livre habité. En cinéaste, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander comment "l’emmener" au cinéma, mais il me semblait qu’il n’y avait rien à faire avec ses voix intérieures permanentes.

J’ai fait d’autres films sans jamais l’oublier et, doucement, je me suis mis à me re-raconter l’histoire, bizarrement devenue très personnelle. En le relisant, j’ai constaté qu’il n’avait plus rien à voir avec ce que je pensais en faire : des mots-clés restaient (Canada, père, fratrie), mais tout avait changé.

J’ai racheté les droits du livre (même si je n’en avais plus besoin légalement) parce qu’il m’avait inspiré, et j’ai envoyé mon scénario à Jean-Paul Dubois. Il m’a répondu ce truc très rigolo : « Ah oui, c’est bien… Faites le film et j’écrirai le livre après, parce que c’est totalement différent. » (rires)

Avez-vous réécrit le dialogue avec les comédiens

Contrairement à d’habitude, oui, par la force des choses. N’étant pas québécois, quand j’écris je ne mets pas des "crisses de tabernacle" à toutes les répliques. J’ai découvert aussi les problèmes d’accent. Rien qu’à Montréal, on dit qu’il y en a trois différents : celui des beaux quartiers, le "québécois ma chère" ; celui des quartiers suburbains (le phrasé des films de Dolan, le "québécois pas cher") et enfin celui du quartier juif, le "québécois kasher" ! Nous avons fait en sorte que les spectateurs français n’aient jamais besoin de sous-titres, et que ceux du Canada trouvent les discussions authentiques.

Cela dit, la parole est secondaire. Beaucoup de messages passent par le non-verbal…

Depuis des décennies, la télé a apporté une autre façon de concevoir les films : on dit aux scénaristes « attention, le public n’est pas captif ! », donc pour qu’il continue à comprendre l’histoire en faisant sa vaisselle, il faut passe par le verbe. Au cinéma, le public est assis dans une salle noire et il regarde. Et si on l’emmène tout le temps par la main, si on lui souffle tout dans l’oreille à chaque fois, le cinéma perd quelque chose.

Le spectateur doit avoir sa part de cheminement scénaristique ! « Le mot est dans le regard » disait Brel dans Les Marquises… Moi, tout ce que je veux, c’est y croire. Mais quand on a beaucoup travaillé en amont pour ne pas voir le travail, c’est assez simple…

L’ambiance de tournage d’un film allant vers un dénouement lumineux est-elle différente des précédents, à l’engagement marqué et à l’issue sombre ?

Non… Sauf que moi j’avais envie et besoin de faire un film solaire. Je ne suis pas sorti indemne de Welcome et de Toutes nos envies ; j’étais franchement dans un sale état. Avec Welcome, je me suis retrouvé dans le bazar de la loi sur les personnes en situation irrégulière ; j’étais invité au moindre débat sur les migrants… C’était schizophrénique : j’avais juste fait un film racontant l’histoire d’un maitre-nageur. Bien sûr, la cause humaine, politique, ça m’intéresse ; mais ce que j’aime avant tout, c’est raconter des histoires. C’est pour cela que Le Fils de Jean est plus dans la veine de Je vais bien ne t’en fais pas

L’avez-vous déjà montré au Québec ?

Oui, à ceux qui ont fait le film. Le distributeur québécois m’a dit vouloir le sortir à Noël, en face de Star Wars, parce que tous les autres ont peur et qu’il n'y a aucune contre-programmation face à ce déferlement. Alors, allons-y. Si ça se trouve, on va faire 2 $… (rires)

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 17 décembre 2019 Pâques aux tisons, Noël au balcon… des cinés. Grâce à Valérie Donzelli, la cathédrale de Paris revit à l’écran, personnage secondaire d’une délicieuse fantaisie sentimentale, burlesque et fantastique. Où il est aussi question de la place des femmes...
Lundi 12 novembre 2018 Portant le fardeau d’une enfance abusée, Odette craque et solde son passé, subissant en sus l’incrédulité hostile de sa mère. Une histoire vraie passée par la scène peinant à trouver sa pleine voix au cinéma mais heureusement relayée par des...
Mardi 30 août 2016 Philippe Lioret renoue ici avec le drame sensible en milieu familial qui lui avait fait signer sa plus grande réussite, "Je vais bien ne t’en fais pas". Une heureuse décision, soutenue par une paire d’acteurs qu’il ferait bien d’adopter : Pierre...
Vendredi 21 juin 2013 Avec "L’Inconnu du lac", Alain Guiraudie entre dans le cercle des grands cinéastes français. Une semaine après la sortie du film, il était plus que logique d’aller rencontrer un cinéaste dont l’honnêteté vis-à-vis de son œuvre et la modestie envers...
Mardi 4 juin 2013 Quelque part entre Simenon et Weerasethakul, Alain Guiraudie installe une intrigue de film criminel sur les bords d’un lac transformé en paradis homo, interrogeant les mécanismes du désir et l’angoisse de la solitude. Drôle et envoûtant. Christophe...
Vendredi 4 novembre 2011 De Philippe Lioret (Fr, 2h) avec Marie Gillain, Vincent Lindon…
Jeudi 5 mars 2009 Réalisateur exigeant de quelques-uns des plus beaux mélodrames français récents, Philippe Lioret s’est emparé de la matière cinéma pour la plier à ce qui le touche, le remue, le choque. François Cau
Jeudi 5 mars 2009 Une nouvelle fois, Philippe Lioret nous touche en plein cœur, à la grâce d’une foi cinématographique totale en son sujet.

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X