Éric Vuillard : « Montrer une foule qui se constitue en peuple »

Eric Vuillard

Librairie Le Square

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littérature / rencontre / Éric Vuillard trace depuis 2010 un parcours exigeant et émouvant dans la littérature française, rendant aux oubliés de l'Histoire une chair. Avec son roman "14 Juillet", il redonne ainsi vie aux anonymes ayant fait vaciller l'Ancien Régime, et c’est bouleversant. Interview avant sa venue à la librairie le Square.

Pourquoi avoir écrit sur cette journée particulière de l’histoire de France ?

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Éric Vuillard : La littérature est peu concernée par le 14 juillet. Elle préfère 1793 avec ses grandes figures. Je crois que la forme littéraire, a priori, répugne naturellement à la foule. Ça lui est compliqué, elle n'a pas été faite pour ça. Elle a été fabriquée depuis l'Antiquité jusqu'à l'Ancien Régime pour raconter des héros, pour célébrer les grands de ce monde que ce soit Phèdre ou autre. Ce ne sont pas des petites gens.

Pourtant, du 14 juillet, on a de grands témoignages réels. Et je crois que la littérature doit tâcher de se rapprocher de cette réalité-là, doit essayer de raconter ce qui a vraiment eu lieu. Le 14 juillet est spectaculaire car c'est la victoire de la foule et du peuple…

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Est-ce une réparation que vous souhaitiez entreprendre avec votre roman, même si vous n’êtes pas historien ?

Il y a eu environ 98 morts parmi les émeutiers le jour de la prise de la Bastille. Mais c'est la mort de Launay, le dernier gouverneur de la Bastille, par le peuple de Paris qui se déchaîne sur lui, qui est très bien documentée car il y a eu une enquête, des procès verbaux. Les historiens la racontent avec beaucoup de détails alors que sur les morts émeutiers, même si on fait des recherches, on a au fond peu de choses – qui les a ramenés, leur métier, leur adresse, leur nom, l'heure de leur décès...

Je crois qu'avec la littérature, il devient possible de reconstituer de manière assez plausible la mort et de l'incarner surtout. Et ainsi donner une idée plus juste de ce qu'il s'est produit.

Surtout que le 14 juillet est une date phare de l’histoire française, et pas seulement pour les Français…

Notre fête du 14 juillet est un concept national et aussi universel. C'est une date connue dans le monde entier. Et c’est une émeute. Tout ce qui aujourd'hui nous est présenté comme parfaitement négatif, trouble, excessif… se trouve au seuil du plus de liberté, plus d'égalité que nous connaissons.

Je voulais raconter ces choses et montrer ce que c'est qu'une foule qui, petit à petit, se constitue en peuple, une sorte d'intelligence collective qui va chercher les armes là où elles sont, qui est réellement menacée et qui sait ce qu'il faut faire – c'est-à-dire prendre l'unique forteresse qui menace les faubourgs, aller y chercher la poudre.

Bien sûr qu'il y a de la contingence et du chaos. Mais ce n'est pas une foule irraisonnée, ça n'est pas le lynchage sur lequel on insiste souvent. C'est autre chose et c'est ce qui est au fondement, je pense, de la démocratie.

On comprend, dans votre livre, la raison de cette insurrection…

Il y a des inégalités économiques et sociales et quand le peuple se soulève, il a de bonnes raisons de le faire. Tout au long de la journée, et même avant le 14 juillet, ça crée des formes de jubilations très particulières liées à des solidarités immédiates, à des rencontres. On sait que tout à coup les intérêts convergent et s'opposent, dans le cadre de la hiérarchie sociale, à une toute petite oligarchie.

Vous montrez aussi qu'une révolution, comme aujourd'hui une grève dans une moindre mesure, n'est pas un caprice, alors que c'est parfois présenté ou caricaturé de la sorte…

On parle aussi beaucoup en termes médicaux : une fièvre, des effusions. Non, c'est structuré par des faits réels, une épreuve au long cours qui fait que tout à coup un événement imprévisible met le feu aux poudres.

Au moment le plus chaud de la révolte, il y a donc une situation objective (Paris est menacé, les armées du roi s'approchent, encerclent les faubourgs…), même si une part contingente déclenche l'événement – comme dans les Révolutions arabes où un homme se fait brûler et la société entière prend feu. Mais cette contingence est juste l'élément déclencheur si bien que l'on ne peut pas du tout rabattre la logique de l'insurrection sur un caprice.

Rencontre avec Éric Vuillard
À la librairie le Square mercredi 19 octobre à 18h30

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