Culture sous haute surveillance politique

politique culturelle / Fini le temps où les politiques culturelles étaient construites main dans la main avec les artistes et les professionnels ? Aujourd’hui, les élus semblent de plus en plus vouloir se réapproprier ce secteur avec, parfois, des méthodes abruptes et des arguments spécieux – ah, le fameux mot élitisme mis à toutes les sauces. Retour sur les derniers faits en date, notamment à Seyssinet-Pariset.

« On n’a pas très envie de revenir sur ce sujet. » Voilà ce qu’on nous répond à l’Ilyade de Seyssinet-Pariset lorsqu'on cherche à joindre l’équipe pour évoquer les difficultés qu’elle rencontre avec la mairie (de droite) et l’adjoint à la culture Frédéric Battin. Retour en mars 2016. La directrice de la salle de spectacle, Noémi Duez, boucle sa programmation pour la prochaine saison. Mais juste avant le dévoilement de celle-ci, la mairie lui demande un changement : sur les 17 spectacles prévus, un va devoir disparaître de la plaquette. Ce sera Vous reprendrez bien une petite danse, pièce de danse contemporaine présentant des personnes âgées.

à lire aussi : Politique culturelle : Pommerat attaque la Ville de Grenoble

Comme l’Ilyade est une salle municipale (ce qui est le cas de nombreuses autres dans l’agglo), l’élu à la culture dispose d’un droit de regard. « Je me dois de donner une couleur à la programmation. Il nous a semblé que ce spectacle était celui qui correspondait le moins à ce que nous voulions pour l’Ilyade. » La programmation est pourtant un travail en soi, confié à la directrice et son équipe. Alors pourquoi cette décision, justifiée entre autres par des soucis budgétaires ? « Pourquoi pas » nous répond Frédéric Battin, qui n’en est pas à sa première remarque de la sorte.

Car en février dernier, un autre événement l’avait déjà fait tiquer, même s’il n’était pas allé jusqu’à réclamer ouvertement son annulation : le spectacle Sous l’armure, sur une petite fille qui se déguise en garçon et prend la place de son cousin pour aller à la guerre. Là, c’est clairement le sujet de la pièce (cette fameuse histoire de "théorie du genre") qui posait problème à l’homme politique.

à lire aussi : Vers une saison de transition à l'Amphithéâtre

« Patrick Sébastien et TF1 »

Du coup, dans le milieu culturel, à Seyssinet-Pariset comme ailleurs, les inquiétudes quant à cet interventionnisme de certains élus se font de plus en plus fortes. « On entend souvent les politiques dire : ce spectacle va plaire, celui-là non. On fait parler les spectateurs sans les concerter » regrette-t-on du côté de l’Ilyade. Frédéric Battin l’assure d’ailleurs : il sait ce qui intéresse les spectateurs, peut-être même mieux que l’équipe de l’Ilyade. « Si on demande aux Seyssinettois ce qu’ils veulent voir, ils vont parler de Patrick Sébastien ou de TF1. »

Ces immixtions de l’action politique dans le domaine culturel ne sont d’ailleurs pas isolées. Depuis la baisse des dotations de l’État, les budgets alloués à la culture diminuent, et les mairies en profitent pour faire preuve d’interventionnisme. Il en était ainsi pour le Coléo, à Pontcharra. Après l'élection municipale de 2014 qui a amené la droite au pouvoir, la salle a subi une sévère cure d’amaigrissement, perdant 30% de son budget, ce qui a conduit au départ de la directrice Céline Sabatier (aujourd’hui à la tête de la Faïencerie à La Tronche). L’idée était alors de remettre à plat la politique culturelle de la Ville.

« On était dans une forme de flou au début de l’année 2015 » se rappelle Morgane Blot, directrice de l’action culturelle au Coléo depuis cette période. Finalement, la tempête est passée, puisque le budget remonte, petit à petit – avec d’ailleurs une programmation qui, cette saison, a clairement de la gueule.

à lire aussi : Fontaine : couvrez cette expo que je ne saurais voir

La confiance ne règne plus…

Autre salle de l’agglo, autre problème. À Pont-de-Claix, en mars 2015, l’adjointe (de gauche) à la culture Corinne Grillet, de l'équipe du maire Christophe Ferrari, parlait dans les pages du PB d’une « programmation élitiste » à l’Amphithéâtre, alors dirigée par Emmanuelle Bibard. Elle voulait « donner les clés de l’Amphithéâtre aux Pontois », ce qui a conduit à un changement de ligne de la salle de spectacle, aujourd’hui directement pilotée par le service culturel de la Ville.

Dernier exemple en date de cette vision politique d'un soi-disant entre-soi du milieu culturel qui serait déconnecté des attentes populaires : à Grenoble, la reprise des théâtres 145 et de Poche par la Ville a fait grand bruit l’an passé, la mairie semblant là aussi dénoncer un certain élitisme du collectif Tricycle aux commandes – même si ça n’a jamais été ouvertement formulé de la sorte par l’élue aux cultures Corinne Bernard. Bernard Garnier, membre du collectif Troisième Bureau consacré au théâtre contemporain, regrette ce choix de municipalisation des deux lieux : « Quels sont les résultats de cette reprise ? Eh bien, on a moitié moins de lever de rideau sur les deux théâtres. »

Une décision qui, compte tenu de l’importance de Grenoble dans le paysage national et des conflits autour de la politique culturelle de l’équipe d’Éric Piolle, a mis en avant un malaise croissant de la part des différents acteurs culturels de la région, qui ont l’impression d’être de plus en plus remis en cause par le politique. Voire d’être carrément délégitimés. Ce n’est pas bon signe pour l’avenir.

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Lundi 4 avril 2022 Travailleurs, forces de l’ordre, fêtards, établissements culturels et festifs, riverains… Lundi 21 mars, des dizaines d’acteurs de la nuit étaient réunis en mairie pour entendre le résultat de six mois d’enquête sur la nuit à Grenoble.
Lundi 29 novembre 2021 Après le signalement à la justice effectué par Grenoble Ecole de Management sur la circulation de GHB dans les soirées étudiantes, fin octobre, le mouvement Balance ton Bar est une déferlante. Secoués, les acteurs grenoblois du secteur tentent de...
Mardi 17 décembre 2019 2019 a été riche en spectacles de toute nature, ouverts à tous les publics. Nous revenons sur quelques-uns de ceux qui nous ont le plus marqués.
Mardi 20 novembre 2018 La Ville de Grenoble vient d'inaugurer ce nouveau lieu « dédié à la jeunesse et à l’engagement ». On y était.
Mardi 19 juin 2018 Du vendredi 29 juin au dimanche 1er juillet, les militants communistes organisent leur traditionnelle Fête du Travailleur alpin à Fontaine. Une effervescence politique et musicale qui réunit depuis 89 ans débats, animations et, surtout,...
Mardi 5 juin 2018 La quatrième édition de la Fête des Tuiles est prévue ce samedi 9 juin sur les cours Jean-Jaurès et de la Libération. Un temps festif « pour partager et se rassembler » comme le souhaite Éric Piolle, le maire de Grenoble.
Lundi 23 avril 2018 À partir du 25 avril, l’autrice et metteuse en scène de théâtre Marine Bachelot Nguyen sera en résidence d’écriture à Grenoble pour deux mois, à l’invitation de la MC2 et du collectif Troisième bureau. L’objectif ? Démontrer que le théâtre s’écrit...
Mardi 3 avril 2018 Sur le campus de Saint-Martin-d'Hères, on peut trouver des étudiants, des bâtiments en béton, et de nombreuses œuvres d’art signées de grands noms comme Alexander Calder ou François Morellet. En voici huit devant lesquelles nous passons parfois sans...
Mardi 28 novembre 2017 Le Ciel, c’est une salle de concert grenobloise mythique, qui a fermé (temporairement) ses portes en 2015. La voilà qui rouvre le temps d’un concert : comment se fait-ce ? On en a discuté avec l’association Plege qui organise l’événement,...
Mardi 28 novembre 2017 En avril 2015, le Théâtre Prémol, situé dans le quartier grenoblois Village Olympique, a été ravagé par un incendie criminel. Alors que sa reconstruction est prévue pour 2019, nous avons rencontré Elisabeth Papazian, qui depuis fait tout pour que...
Mardi 24 octobre 2017 En février 1968, Grenoble accueillait les Jeux olympiques d’hiver après s’être grandiosement transformée pour l’occasion. 50 ans plus tard, la Ville et ses partenaires célèbrent cet anniversaire en grande pompe avec une apogée prévue début février....
Mardi 4 juillet 2017 Jeudi 22 juin, le maire de Grenoble Éric Piolle présentait à Paris, au ministère de la culture, un dossier pour soutenir la candidature de la ville au label national "ville d’art et d’histoire". À peine sorti de son oral, il annonçait sa réussite...

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X