Leur liberté, plastique et discursive, est à l'image de leur engagement : revendicatrice et engagée. Portés par une responsabilité citoyenne brûlante, les artistes qui dévoilent un "Art engagé" à Spacejunk utilisent leur travail pour délivrer des messages acides sur l'état du monde, sans pour autant sacrifier le sens de l'esthétique. En découle une exposition qui tranche dans le vif.
Dans un numéro hors-série d'août-septembre 2016, Le Monde diplomatique se demandait si les artistes étaient désormais domestiqués ou révoltés. Ceux qui occupent actuellement l'espace de Spacejunk sont assurément révoltés, dans un geste qui allie l'art et la vie. Avec l'exposition Art engagé, le centre d'art grenoblois met en regard six artistes issus de la culture "street" (une philosophie artistique marquée par la contestation) et trouvant dans la rue une visibilité en adéquation avec leurs valeurs.
Le changement de terrain opéré en pénétrant dans un "lieu de monstration" ne trahit pourtant pas leurs œuvres ; au contraire, le discours résonne différemment tout en étant inchangé. En délivrant un message humaniste par le prisme d'images stylisées, ces artistes arrivent à investir toutes les surfaces. Mais si le tour de force fonctionne, c'est également grâce à la pertinence de la proposition qui offre une scénographie intelligente, avec une sélection juste.
Uppercut plastique
Car d'œuvre en œuvre, un fil rouge s'esquisse malgré les différences d'expressivité. Ce lien perceptible demeure dans la volonté d'éveiller les consciences, de façon dissimulée ou directe. C'est le chemin choisi par Olivier Duverney qui, de peintures en miroirs, attaque frontalement le regard. En détournant des logos pour en faire des slogans grotesques, il jette le discrédit sur les grandes entreprises qui manipulent les populations. Plus nuancées, ses peintures hyperréalistes s'emparent également de la pop culture pour en dénoncer les abus.
EZK use également des images collectives pour distiller une critique acerbe sur les marques. Ces pochoirs visibles sur les murs de Grenoble se retrouvent ainsi transposés sur des planches de bois au sein de Spacejunk, pointant du doigt les absurdités du monde – comme avec l'œuvre Dans quel monde Vuitton qui montre la misère d'ailleurs. La série intitulée Art against Poverty s'inscrit à travers une peinture en négatif pour un message peu optimiste.
Goin, quant à lui, reprend également des pochoirs urbains pour en faire des toiles à l'image des trois figures de la mort nommées BCE, UE et FMI. Une brutalité de l'image en lien direct avec l'actualité qui cherche à interpeller le spectateur, tout comme sa Marianne casquée.
La discrétion brutale
Dans un même élan protestataire, les trois autres artistes présentés investissent des médiums différents, de la sérigraphie à la sculpture en passant par la photographie. Mais surtout, leur approche se fait de manière plus contrastée.
Avec Shepard Fairey, c'est dans le détail, et souvent dans le titre des œuvres, que se loge la critique. Influencé par Andy Warhol, le street artist réalise des sérigraphies où le motif foisonne, relayant sans fard son avis sur l'actualité comme en 1997 avec la pièce Saddam ou en 2008 avec Tyrant Boot. Dominé par le rouge, l'ensemble attaque les politiques et la guerre avec un sens du style affirmé.
Pour l'italien Beast, la photographie devient collage afin de tourner en dérision certaines positions politiques – ici Angela Merkel. Transposant son visage dans des photographies, l'artiste critique violemment les positions de cette dernière, notamment sur les questions sociales soulevées par le visuel We are not businessmen, we are business, man.
Quant aux miniatures d'Isaac Cordal, déjà aperçues dans la ville, elles interrogent une société en crise. Représentant des personnes sans abris, les œuvres de l'Espagnol se font discrètes mais lorsqu'elles captent le regard, la conscience est bousculée par ces images quotidiennes souvent ignorées. En jouant sur l'échelle, il nous oblige ainsi à voir.
Un Art engagé pour des artistes qui regardent dans la bonne direction, continuant un combat vers un interstice d'espoir.
Art engagé
À Spacejunk jusqu'au samedi 14 janvier