De ses dommages collatéraux en Irak à ses ravages muets sur un soldat texan rentré au bercail pour y être exhibé comme un héros, la guerre... et tout ce qui s'ensuit. 24 h de paradoxes étasuniens synthétisés par un patron du cinéma mondial, le polyvalent Ang Lee.
Suggérant à la fois un roman de Zweig et une chanson des Beatles, le titre français de Billy Lynn's Long Halftime Walk ne trahit pas, loin s'en faut, l'esprit du film de Ang Lee. Son apparente banalité le contient en effet dans son entier, respectant l'unité de temps en dessinant une perspective plus vaste. Tout se déroule durant la journée particulière de Thanksgiving : ayant accompli un acte héroïque en Irak, le jeunot Billy Lynn bénéficie d'une permission exceptionnelle au Texas afin, notamment, de parader au sein de son unité durant le spectacle de mi-temps d'un match de football américain. Avant de participer à cette mise en scène aussi grotesque qu'obscène - censée galvaniser ou distraire, on ne sait guère, une populace déconnectée de la réalité du terrain -, le troufion aura essuyé les suppliques de sa sœur l'incitant à se faire réformer, découvert la béance entre l'image que se font les civils du front et la réalité, mais surtout été bombardé intérieurement d'envahissants souvenirs constitutifs d'un traumatisme latent.
Full frontal, Foule frontale
Ang Lee montre dans ce stupéfiant raccourci la germination progressive du trauma à travers sa rémanence, instillée par des flash-back aussi brefs que percutants et l'injonction à le refouler au nom de “valeurs” (patriotisme, esprit de corps) ou contre des “récompenses” (miroitement de la vente du biopic de l'unité à Hollywood, hypothétique romance avec les cheerleaders de service). Déjà surspectacularisée pour la galerie, cette guerre-marchandise transforme des militaires affaiblis en complices actifs d'une propagande pathétique servant non des idées, mais des intérêts privés. Dans une conférence de presse surréaliste, Lee juxtapose d'ailleurs le discours préfabriqué qu'ils colportent à ce qu'ils pensent réellement : la séquence, superbe, se révèle aussi drôle qu'effrayante.
Si le rôle-titre a été confié au jeune Joe Alwyn, bien des personnages secondaires sont incarnés par des stars. De prime abord, le choix peut sembler étrange, celles-ci étant coutumières de productions moins sérieusement engagées. Mais comme chacun(e) reste dans son créneau (Kristen Stewart en “girl next door”, Vin Diesel en baroudeur à treillis, Steve Martin en escroc, Chris Tucker en baratineur), le grand public conserve ses repères. Moins ambigu dans son propos qu'un Eastwood, espérons que ce film, où les personnages passent une grande partie de leur temps face caméra comme s'ils cherchaient à interpeller le public, sera vu outre-Atlantique. Et compris.
Un jour dans la vie de Billy Lynn de Ang Lee (E.-U., 1h50) avec Joe Alwyn, Kristen Stewart, Garrett Hedlund...