Arnaud de Pallières : « Je me suis laissé envahir par mon personnage »

Quatre ans après "Michael Kohlhaas", Arnaud des Pallières revient avec "Orpheline". Et traite toujours de l’injustice, en épousant à nouveau le regard d’une victime combative – qui se trouve être ici une femme. Toute ressemblance avec une personne existante n’est pas fortuite…

D’où provient cette construction fragmentaire de votre film Orpheline ?

Arnaud de Pallières : Tout a commencé avec Christelle Berthevas, la coscénariste avec qui j’avais écrit Michael Kohlhaas, mon précédent film. Elle m’avait raconté son histoire par fragments, de son enfance à ses 20 ans. Je lui ai demandé si elle était d’accord pour qu’on le transforme en un film, en jetant la matière comme elle lui venait.

Très tôt en amont, j’ai eu l’intuition que ce film devait respecter cette forme fragmentaire – les différentes parties, sans raconter forcément ce qui se déroule entre elles – et diffracter le personnage en quatre actrices. Christelle a accepté, bien que cela court-circuite un projet d’écriture romanesque qu’elle avait.

Quand avez-vous réussi à vous approprier son histoire ?

Le geste le plus ancien dont je me souvienne est intervenu à la fin de la coécriture du scénario, lorsque j’ai rédigé la note d’intention, où je spécifiais que le film devait épouser le point de vue du personnage principal et le tenir de façon extrêmement rigoureuse. C’est-à-dire respecter de vraies contraintes techniques, d’objectif, de placement de caméra et de mise en scène extrêmement contraignantes pour les comédiens : à aucun moment, le film n’en voit ou n’en sait plus que le personnage.

Dès lors, je me suis un peu pris pour ce personnage. En travaillant avec les actrices, j’ai traversé tout le tournage dans sa peau. Ce n’est pas vraiment une appropriation, plutôt le contraire : une possession. Je me suis laissé envahir par ce personnage que j’admire et que j’aime afin de pouvoir le représenter le plus justement possible, sans le dominer en tant qu’homme et metteur en scène. J’en suis ressorti au moment du montage pour redevenir qui je suis.

Le montage correspond-il à un exorcisme après cette possession ?

Non, c’est une mise à distance. Je suis revenu à ma place. D’abord, les actrices n’étaient plus là, et tout d’un coup je voyais ce qu’on avait fait. Il fallait que j’objective pour le film, et ce que l’on a ressenti avec les actrices pour qu’il devienne partageable par tout le monde. On fait un artisanat pour que vous, le public, puissiez le ressentir.

Pourquoi ce titre au singulier ? Vous est-il venu l’idée de le mettre au pluriel pour rendre compte de la pluralité de la personnalité de l’héroïne ?

Non, au contraire, comme il s’agit d’une personne. Le titre est venu de Christelle Berthevas. Il m’a convaincu parce que c’était un singulier, il fallait affirmer qu’il s’agissait d’une seule personne. J’aime beaucoup les titres qui tiennent en un mot. "Orpheline", c’est un mot fort et je trouvais assez beau que ce soit une chose qu’elle dise d’elle-même à un moment : « j’ai pas de mère, pas de père ». C’était une fiction, mais c’est sa fiction. Et puisqu’elle dit d’elle-même qu’elle est orpheline, le film le donne comme une vérité.

Ce titre prend peu à peu une autre dimension…

Un bon titre est un titre qui dialogue avec n’importe quel endroit du film. C’est toujours très compliqué d’en trouver un. L’idée, c’est qu’il fasse aussi lien entre tous les aspects du film. Ça n’est pas rationnel le rapport que l’on a avec un titre. Après, je pense qu’il parle différemment avec chaque spectateur en fonction du film que chaque spectateur a vu…

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