Avec "Alien : Covenant", la bête immonde est de retour

Avec
Alien : Covenant
De Ridley Scott (EU-Angl, 2h02) avec Michael Fassbender, Katherine Waterston...

Après une patiente incubation, Ridley Scott accouche, avec "Alien : Covenant", de son troisième opus dans la vieille saga "Alien" (débutée en 1979), participant de son édification et de sa cohérence. Cette nouvelle pièce majeure semble de surcroît amorcer la convergence avec son autre univers totémique, "Blade Runner". Excitant.

L'ouverture d'Alien : Covenant se fait sur un œil se dessillant en très gros plan. Ce regard tout neuf et empli d'interrogations est porté par l'androïde David, création du milliardaire Peter Weyland. Aussitôt s'engage entre la créature et son démiurge une conversation philosophique sur l'origine de la vie, où affleure le désir de la machine de survivre à son concepteur. L'image mimétique d'un instinct de survie, en quelque sorte.

Cet œil inaugural, immense et écarquillé, reflétant le monde qui l'entoure, fait doublement écho non à Prometheus, préquelle de la saga sorti en 2012, mais à l'incipit de Blade Runner (1982) du même Ridley Scott. L'œil y apparaît pareillement, pour réfléchir un décor futuriste et comme miroir de l'âme : c'est en effet par l'observation des mouvements de la pupille lors du fameux test de Voight-Kampff que l'on parvient à trier les authentiques humains de leurs simulacres synthétiques, les "répliquants". Le David d'Alien rêve-t-il, comme eux, de moutons électriques ?

Il n'est en tout cas pas anodin que Scott s'interroge à nouveau sur le désir d'une intelligence artificielle de supplanter celle qui l'a programmée. Ni qu'il effectue aujourd'hui ce singulier rapprochement entre ces deux stèles de la science-fiction qu'il a érigées dans le dernier quart du XXe siècle.

Clonage de faire

Covenant suit une trame identique à Alien et Prometheus : attiré par un message, l'équipage d'un vaisseau se rend sur une planète, y débarque, se fait contaminer par un alien et doit éliminer le xénomorphe les ayant quasiment exterminés. À l'instar de moult confrères, Scott paraît refaire le même film à l'envi ; mais ce n'est qu'un faux-semblant. Si d'aucuns révisent inlassablement leurs productions passées en les triturant par le numérique (restant de fait les prisonniers dorés de leur univers étendu), Scott remet à chaque épisode l'ouvrage sur le métier pour en approfondir les zones obscures.

On s'extasie bien volontiers devant l'ingéniosité des showrunners de séries télévisées, capables d'imaginer des emboitements logiques pour légitimer les plus improbables ramifications découlant de leurs digressions ; Michael Green, John Logan et Jack Paglen, scénaristes de Covenant, ne méritent pas moins d'admiration ni d'éloges.

Leurs trouvailles donnent ici une réelle cohérence à la saga, en s'appuyant sur des préceptes biologiques indiscutables. Loin de banaliser l'étrangeté menaçant de l'alien et de ses multiples avatars (on découvre ici le néomorphe, dont la blancheur rappelle l'ogre du Labyrinthe de Pan), Convenant confirme son inclusion dans la normalité du vivant, et en renforce donc le caractère supérieurement terrifiant.

Il était une proie...

Dans Convenant, l'être humain se trouve de facto pris en étau entre deux entités évolutives mutant plus rapidement que lui : d'un côté la machine (au départ sa créature faisant sécession et abstraction des lois d'Asimov), de l'autre l'alien, issu d'un génie génétique initialement extraterrestre. Deux espèces n'ayant pas d'intérêt à se détruire mutuellement, mais capable de sceller des pactes tacites pour décimer du Terrien.

Dans la première tétralogie, l'héroïne incarnée par Sigourney Weaver était une simple humaine ; aujourd'hui, c'est Michael Fassbender qui campe le personnage récurrent. Pivot dramatique, Janus de Covenant, il est surtout un androïde dans une série portant le nom d'un monstre anthropophage. Autrement dit, l'humanité tend à disparaître d'Alien.

Scott revendique une noirceur plus prononcée, un pessimisme accru. Le fait est que le futur n'a jamais été aussi incertain, et l'intelligence collective jamais paru aussi autant artificielle. On peut se consoler en se disant que si les artistes jouent les Cassandre en imaginant des apocalypses, le pire finira par ne pas advenir...

Alien : Covenant
De Ridley Scott (É.-U.-G.-B., 2h02) avec Michael Fassbender, Katherine Waterston, Billy Crudup, Danny McBride...

à lire aussi

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 5 octobre 2021 Une querelle entre nobliaux moyenâgeux se transforme en duel judiciaire à mort quand l’un des deux viole l’épouse de l’autre. Retour aux sources pour Ridley Scott avec ce récit où la vérité comme les femmes sont soumises au désir, à l’obstination et...
Lundi 2 octobre 2017 Denis Villeneuve livre avec "Blade Runner 2049" une postérité plus pessimiste encore que le chef-d’œuvre de l'écrivain de science-fiction Philip K. Dick et du cinéaste Ridley Scott. Tombeau de l’humanité, son opéra de bruine...
Mardi 4 juillet 2017 Retour à une forme plus narrative pour le désormais prolifique Terrence Malick, qui revisite ici, avec des grands noms (Natalie Portman, Ryan Gosling, Michael Fassbender,  Rooney Mara...), le chassé-croisé amoureux dans une forme forcément...
Mardi 20 décembre 2016 Le jeu vidéo culte trouve une nouvelle vie au cinéma grâce à Justin Kurzel et des stars comme Michael Fassbender, Marion Cotillard ou encore Jeremy Irons. Sauf que cette vie-là tombe totalement à plat.
Mardi 20 décembre 2016 Après avoir campé dans "Steve Jobs" un créateur d’ordinateur, Michael Fassbender endosse pour l’adaptation du jeu vidéo "Assassin’s Creed" le double rôle de Cal et d’Aguilar, coiffant en sus la casquette de coproducteur. Il mise gros jeu…
Mardi 17 mai 2016 En mettant ses mutants aux prises avec le premier d’entre eux, Apocalypse, Bryan Singer boucle une seconde trilogie des X-Men épique. Et montre que, de tous les réalisateurs de productions Marvel déferlant sur les écrans ces temps-ci, c’est bien lui...
Mardi 2 février 2016 Après s’être notamment égaré en racontant les tribulations gore d’un randonneur se sciant le bras pour survivre (“127 heures”), Danny Boyle avait besoin de se rattraper. Il fait le job avec une évocation stylisée du patron d’Apple, première...
Mardi 20 octobre 2015 « Dans l’espace, personne ne vous entendra crier » menaçait l’affiche d’"Alien". Trente-six ans plus tard, Ridley Scott se pique de prouver la véracité du célèbre slogan en renouant avec l’anticipation spatiale. Et met en orbite son meilleur film...

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X